2 La cérémonie de mariage d'hier à aujourd'hui en Algérie(2/2)
Les parents n’ont plus le monopole du choix de la fille à marier à leur fils. Celui-ci prend celle qui lui convient, une fille collègue de travail, camarade de lycée ou tout simplement celle qu’il a connue au hasard d’une rencontre. Les parents disent alors que leur fils s’est mariée lui-même et dans la rue.
«Tu te chargeras de toute la suite», s’acharnent-ils à lui répéter. De leur côté, les parents qui arrivent à caser leur fille de cette façon disent «tant mieux», surtout quand ils ont beaucoup de filles.
En dépit de ces changement il existe des familles restées attachées aux valeurs ancestrales et qui boudent leur fils ou leur fille au point même de les renier lorsqu’ils se marient en toute liberté ou, comme ils ont coutume de le dire, « dans la rue !»
Ceci va dans le même sens que l’invention des salles qui ont fait disparaître bien des tabous, cérémonies et rites. Plus de tam-tam, bombarde, tambour, plus de cérémonial et plus de henné. Même la fatiha a lieu devant un public restreint. La séparation avec les parents a lieu là : le nouveau couple s’en va de la salle vers un lieu qu’ils se sont choisi, dans l’indifférence générale.Puis, dès le lendemain la vie reprend son cours normal. Tout le cérémonial a lieu dans la salle. Tous les invités du côté de la fille et du côté du garçon y sont concentrés. Le repas de midi ou du soir, la distribution des boîtes de gâteaux et les boissons ont lieu entre quatre murs et au son d’une musique assourdissante provenant d’un disque-jockey. Tout ceux ayant vu arriver la mariée, puis dansé, mangé, bu et pris une boîte de gâteaux secs s’en va le soir anonymement, ainsi que les parents des mariés qui regagnent leur domicile pour continuer à vivre dans la froideur habituelle. De cette journée, normalement mémorable, il n’en restera que les souvenirs par les photos ou la caméra.
Ce qui a changé depuis nos ancêtres
Les fêtes traditionnelles font partie aujourd’hui des plus vieux souvenirs. Aussi, les aînés s’associent aux fêtes des jeunes, leur sujet de prédilection reste les mariages d’antan à une époque où il y avait beaucoup de couscous, viande, beignets, «m’semmène».
Les invités se mettaient à huit, dix, autour d’un même plat de couscous ; ils mangeaient en tenant d’une main la cuiller, de l’autre le morceau de viande. Assis à même le sol, chacun creusait avec sa cuiller dans le couscous et lorsqu’un groupe avait fini de manger, on ramassait le plat pour en apporter un autre.
L’évolution, qui a tué les traditions et mis fin au charme d’antan, a entraîné une prolifération indescriptible de salles des fêtes.
On en a dénombré une douzaine dans une même rue. Lorsqu’ils ont la chance de se trouver en ville, d’avoir quelques centaines de millions pour aménager des rez-de-chaussée ou des caves de villas, les heureux propriétaires font louer plusieurs mois à l’avance. Ils ont une longue liste de clients.
Chacun, pour être sûr d’avoir loué, doit verser sur les dix à douze millions de location des murs, tables et chaises, deux à trois millions d’arrhes non remboursables en cas de désistement.
Si un client trouve une autre salle ou qu’il annule la fête, aucun centime ne lui est rendu, mais du côté du patron tous les coups sont permis : il peut décaler quelqu’un pour satisfaire un ami ou tout autre client arrivé à la dernière minute avec une proposition de paiement intéressante. Si le client a payé les arrhes, on peut lui imposer des conditions inacceptables : pas d’enfants dans la salle, plus de fête après 18 h, si vous voulez aller au-delà, vous devez payer un supplément de 2 millions de centimes, si vous voulez utiliser la vaisselle de la salle vous devez payer une somme et vous êtes tenus de la rendre lavée,et s’il y a de la casse on doit payer sans discuter.
D’autres conditions sont imposées lorsque vous devez cuisiner dans la salle : il faut payer le cuisinier et les serveurs, acheter les ingrédients. Les salles sont devenues à la mode et l’on peut trouver absurde que quelqu’un invite pour un repas et un spectacle musical à son domicile. C’est pour cela que les villes étant saturées, des salles se sont ouvertes même en pleine nature et proposées à des prix défiant toute concurrence. Ceux qui ont vécu dans l’isolement des champs parce qu’ils y ont construit une maison se sont découvert une nouvelle vocation : aménager un étage ou en construire d’autres pour créer des salles de fêtes. «Les amoureux du cadre naturel, se disent-ils, viendront ici joindre l’utile à l’agréable : célébrer un mariage loin des agressions de la ville et près des cris de tous les animaux sauvages. Chez nous, le modernisme a exclu définitivement le traditionalisme. Nos jeunes ne connaîtront rien de notre passé dont on ne peut que nous enorgueillir malgré la misère.
Personne parmi nous ne fait l’effort de recréer quelques pratiques anciennes tel l’orchestre des femmes avec comme seul instrument musical le tambour ou les préparations culinaires traditionnelles, comme le «mezfouf» ou «meqfoul» aux fèves sèches additionnées de pois chiches et de grains de blé, bien cuits et bien huilés, le «berkoukes» aux œufs, «el-m’ssemè- ne, les beignets et les «makrouts» à l’ancienne. Toutes ces spécialités de grand-mère vont finir par s’oublier devant les gâteaux secs et la cuisine étrangère, lesquels semblent avoir pris le dessus.
De plus, personne ne peut donner la moindre information sur les joutes oratoires accompagnées de sons musicaux comparables au «slam» ancrées dans les traditions courantes dans les fêtes de l’ancien temps où l’on appréciait les artisans du langage.
Source la Nouvelle République