Qu'on se l'avoue sans détours : un gros débat sur la sexualité des Algériens expliquerait à moitié le phénomène de la Hargua, la naissance, gloire et décadence du FIS, le million de touristes algériens partis vers la Tunisie, la non- reproduction politique (et pas seulement) qui touche une partie de la génération 54, le nombre des antennes paraboliques en Algérie et cette impression que vivent trop d'Algériens de vivre en photocopiant une seule journée ennuyeuse où qu'ils aillent dans leur propre pays. Car à bien regarder un Algérien, ou à bien l'écouter, on ne peut que distinguer ce bruit de tic-tac terrible de quelque chose qui va exploser un jour ou l'autre et qui prouve que l'Algérien est piégé de l'intérieur entre la démographie et le plaisir raté. D'abord par son histoire nationale qui le pousse à refaire la guerre et à prendre les armes pour prendre du poids, puis par sa conception de la morale qui le force à honorer une sorte d'ascétisme qui fut nécessaire à la Révolution (quoique !), de contourner sa libido en la soumettant au voile, au rite ou au code et à assurer la reproduction en fermant les yeux sur son côté gustatif, sa culture et son spectacle. Du coup un Algérien est à la fois un être frustré par lui-même, voulant à la fois regarder les femmes des autres sans que les autres ne puissent regarder ses femmes, prêchant l'abstinence en groupe et la licence absolue en solo, consommant l'ENTV en famille et le reste en solitaire, susceptible quant à son identité mais rêvant de s'en débarrasser au moins un mois par an dans un pays étranger en incognito, capable d'expliquer la pratique des ablutions durant le 11ème siècle des Fatimides mais incapable d'expliquer comment on fait des enfants à ses enfants, votant FIS sauf quand il est filmé ou assis face à l'Etat mais votant TPS chaque fin de mois. On comprendra alors pourquoi les Algériens étouffent dans un aussi vaste pays que l'Algérie et se sentent libre dans un pays aussi petit que la Tunisie. On comprendra du coup pourquoi le pays met les voiles sur la tête des femmes mais pas vers l'avenir et pourquoi à Constantine des parents d'élèves se prononcent encore contre la mixité dans des écoles sous prétexte de risques de « dysfonctionnement » et de « troubles avérés ». On comprendra enfin pourquoi les femmes algériennes n'aiment presque pas les Algériens parce qu'ils les ont mal défendu depuis l'invasion des Romains et pourquoi les Algériens se sentent mal face aux Algériennes parce qu'elles leur rappellent quelque chose de précis, d'impérieux, de nécessaire et de troublant au point où cela trouble tout le reste et jusqu'au débat sur le 3ème mandat. Les Algériens étant à la fois un peuple qui se reproduit vite mais se reproduit mal, croyant justement que le Mal est dans la reproduction. Y a-t-il une issue dans un pays où la sexualité se réveille vingt ans avant la possibilité de se marier et disparaît vingt ans après ? Oui. Au Paradis dit tout le monde en public. En Occident disent les harragua. Dans les urnes dit l'Etat. Dans les mariages collectifs disent les bénévoles. Avec TPS disent les vendeurs d'électroménagers. Dans la surveillance de la lune soutiennent les oisifs très nombreux et fins opticiens. Après 2009 dit Bouteflika. Dans les endroits discrets disent les chanteurs de Raï. On ne sait plus. C'est pourquoi des parents d'élèves à Constantine ont le droit eux aussi de dire n'importe quoi. Les « troubles sont avérés ». Pas ceux de la mixité. Ceux du pays.
Source Liberté
Le Pèlerin