Algérie - La Jeunesse et le désespoir
El Harraga au sens étymologique signifie les pyromanes. Par extension, ce terme couvre un large champ sémantique englobant tous les comportements réfractaires à l’ordre, à la loi, aux règlements… Ce terme semble s’appliquer désormais exclusivement aux seuls jeunes qui s’engagent dans l’aventure de l’émigration clandestine, qui brûlent les frontières en quête d’une vie meilleure, d’un rêve, ou tout simplement pour échapper à des conditions et à un espace étouffants. Depuis près d’une dizaine d’années, partir est devenu le leitmotiv d’une jeunesse désabusée, déprimée, lasse de sa situation. Prendre le large n’est pas le rêve des seuls jeunes sans qualification, ni formation, ni diplôme. Des universitaires scrutent les horizons outre-mer et guettent la moindre occasion pour s’embarquer vers des larges aussi incertains que ceux qu’ils quittent, mais la tentation est trop forte pour que les supplications des parents, des amis, des politiques les en dissuadent.
Ceux qui nourrissent le même rêve mais ne tentent rien sont légion. Ils suivent néanmoins les péripéties des plus audacieux dont ils saluent la réussite ou déplorent l’échec.
Ce phénomène de harraga est loin d’être une lubie, un fantasme ou un caprice. Il traduit le mal-vivre d’une jeunesse qui constitue la chair de la nation par son importance numérique, sa sensibilité, sa fragilité et sa précarité.
C’est cette même jeunesse en termes d’âge, d’aspirations et de conditions de vie qui a fait Novembre 1954, qui a fait les printemps vert et noir de 1980 et de 2001, qui a fait Octobre 1988, qui a fait toutes les émeutes des années 2000, qui s’est laissée manipuler et entraîner dans les maquis terroristes, qui a résisté au terrorisme et qui entreprend aujourd’hui, quand elle le peut, qui a investi le marché informel, qui est impliquée dans tous les trafics, qui est la proie d’un chômage qui tue à petit feu, qui alimente les rangs du banditisme. Cette jeunesse pleine de vie et d’énergie se voit sans avenir dans une Algérie riche. Elle ne comprend pas ce paradoxe, c’est pourquoi elle rejette tous les discours, toutes les promesses, et préfère se confectionner un rêve ou un cauchemar pour s’y enfermer et devenir autiste à un environnement qui ne la comprend pas. Il ne s’agit nullement d’un conflit de générations. Il s’agit d’un enjeu stratégique, et l’avenir de toute la nation en dépend. Au-delà des querelles de générations, de valeurs anciennes et nouvelles, de visions opposées, voire antagoniques, le salut d’une nation ne peut se faire au détriment de sa majorité exclue du champ décisionnel, du champ économique, du champ social, du champ culturel au nom d’une authenticité chimérique, au nom de valeurs désuètes, au nom d’une continuité rompue par ceux qui en sont les fervents défenseurs. La force vive de la nation est à la dérive depuis des décennies, ce qui a engendré la tragédie des années quatre-vingt-dix et toutes les émeutes violentes. La sonnette d’alarme a été tirée par cette même jeunesse un 5 octobre 1988 mais rien n’a été fait pour repenser la place de la jeunesse dans la société, l’avenir de millions de citoyens. Bouteflika veut parler de la jeunesse algérienne. Il souhaite élaborer une politique nationale pour cette frange majoritaire de la société. S’agit-il d’endiguer le phénomène des harraga pour rassurer l’Europe ou s’agit-il réellement de rapatrier le rêve et l’espoir ?
Source la Tribune
Le Pèlerin