Premier témoignage Alice
Il manque quelque chose
Partis en Normandie, parce que mon gendre y avait son travail, à Alençon. Ma fille avait épousé un Pied-Noir de Blida, d'origine corse. Mais nous ne sommes pas restés : il a cherché à repartir dans le Sud, il s'est fait muter en Corse en 1965.
En 1982, je me suis retrouvée veuve pour la deuxième fois.
Les guerres... Mon premier mari avait fait celle de 14-18, comme un de mes frères (un autre frère, resté espagnol non : il n'était pas d'accord avec cette guerre), je ne sais plus quand le frère qui avait fait la guerre est devenu Français, après, sans doute. Mais il ne l'a pas été longtemps, il est mort des suites de la guerre (il avait été gazé).
Mon premier mari a été réquisitionné au moment de la guerre de 40 par les CFA: il fallait quand même que les trains marchent.
Mon deuxième mari avait été mobilisé au moment de la guerre. Lui avait été naturalisé Français, parce que c'est lui qui était parti de Pologne à 22 ans. Là, ils ont fait une erreur dans mon nom. C'est à Nantes qu'ils ont fait une erreur d'orthographe, au service des étrangers. Alors pour prouver, j'ai fait des démarches en Espagne: ils m'ont dit qu'ils n'avaient plus rien sur nous, ça fait trop longtemps. Et à Nantes, ils ont laissé l'erreur. Personne n'a de traces de nous... ni l'Espagne, ni l'Algérie.
Les Pieds-Noirs ? De pauvres gens qu'on a mis à la porte, qu'on a déracinés,
Je suis très bien à Ajaccio, mais le pays je ne l'oublie pas, je ne l'oublierai jamais. Et c'est la vérité...
Mes souvenirs... Nous n'étions pas riches, mais heureux, je revois tout ce que j'ai vécu, je l’ai dans la tête et dans le cœur: je ne peux pas mettre un souvenir au-dessus d'un autre.
Le plus important pour moi, c'est l'accent. La littérature, je n'y connais rien. Mais la culture des Pieds-Noirs, c'est la culture d'un peuple qui disparaît, en partie, peut-être.
Je n'ai pas à me plaindre des relations avec les gens d'ici. Pour moi, les Corses sont gentils, je fréquente des gens d'Alger, de ma ville, qui sont de grands amis et qui vivent aussi à Ajaccio, dans le même quartier. Mais je vis de plus en plus dans une grande solitude, du fait de la mort, petit à petit, de mes amis pieds-noirs. La façon de vivre des Pieds-Noirs se perd ici. Je ne fais pas partie d'associations pieds-noirs, mais je suis au courant de la rencontre du 1er mai, à Antibes Juan-les-Pins, par des amis qui y vont et suivent cela de près. Il y a des artistes, des stands, des tas de choses : c'est l'Amicale d'Antibes qui fait ça.
Même si j'aime beaucoup les Corses, mon entourage pied-noir me manque, et je n'oublie pas le pays. Avec les Corses, nous n'avons pas les mêmes habitudes, mais c'est peut-être aussi une question de génération maintenant, et le siècle qui le veut.
Ceux qui sont représentatifs des Pieds-Noirs pour moi ?
Enrico Macias, pour commencer. Macias, et encore Macias. Que lui : il me suffit.
Autrement, qui je vois... Les enfants, la famille.
Des colères ? Je n'ai pas de colères.
Quand il y a des émissions sur l'Algérie, je les regarde. Et quand il y a des actes terroristes, je regarde, j'ai de la peine, et je pleure, j'ai le cœur serré. Et en même temps, tout me revient dans la tête. Je n'arrête pas de regarder: je cherche à reconnaître des maisons, des endroits que je connaissais, à Sidi-Bel-Abbès, Oran, Alger.
Je regarde et je pleure. Je pleure... !

Pochette du CD Oranges amères, album récent : Enrico Macias chante l'espoir de fraternité, entre douleurs et rêves de paix, exil et fidélité à la source...
Il est un héritier de l'Andalousie musicale. (Comme Bedos, avec ses rages et ses colères, est un héritier de l'humour populaire des Pieds-Noirs.)
Alice
A suivre…….
Nota : Ce texte tiré de l’œuvre ci-dessus indiquée est diffusé à des fins de vulgarisation de la culture Pied-Noir.
Que les auteurs en soient remerciés.
Votre serviteur un Pied-Noir d’Hussein-Dey se retrouve dans les propos de ce document.
Le Pèlerin