Lettre ouverte aux chefs d'Etat de l'UPM (2/2)
- Le premier chantier est celui de la restauration de la crédibilité politique. Celle de l'Europe : sortir du mouvement de balancier entre l'antiaméricanisme et l'alignement pur et simple, pour définir une politique extérieure commune notamment en Méditerranée. Le plus urgent reste le Proche-Orient. L'Europe doit rappeler avec force son attachement au droit international et aux valeurs universelles en exigeant l'application des résolutions du Conseil de sécurité et la levée du bouclage des populations civiles palestiniennes. L'Europe peut et se doit de réunir une conférence internationale de la paix autour de l'initiative de paix arabe présentée par le roi Abdallah d'Arabie saoudite, adoptée par le sommet arabe de Beyrouth de 2002 et récemment réactivée par le sommet de Riyad de la Ligue arabe. Le calendrier s'y prête, la communauté internationale l'espère, le partenariat euroméditerranéen y gagnera en légitimité et en profondeur. L'Europe devrait aussi prendre l'initiative d'engager le processus d'adhésion de l'ensemble de Chypre.
Celle du Sud : accélérer les réformes afin d'améliorer les environnements légaux et démocratiques. Toutes les autres régions du monde progressent dans ce domaine, pourquoi pas la nôtre ? Dans ce chemin vers l'Etat de droit et la mise en place de cadres institutionnels durables, les pays du Sud devraient accepter, comme les pays d'Europe centrale et orientale naguère, des jumelages administratifs avec l'Europe, qui leur permettront en dix ans de transformer leur administration. Ils devraient enfin proposer des initiatives politiques fortes en matière de relations Sud-Sud, comme l'ouverture des frontières entre tous les pays de la région, et la libre circulation des personnes et des biens.
Le deuxième chantier est celui du développement humain. Les pays de l'UPM doivent ouvrir en priorité un dialogue sans tabou à propos de la mobilité des populations. Les pays du Nord doivent comprendre que cette question est essentielle dans les pays du Sud où l'on vit très mal les entraves à la circulation en direction de l'Europe, pendant que les nouvelles politiques de migration choisie les privent de leurs élites. Comment parler d'Union à des populations à qui l'on imposerait de rester chez elles ? Ces populations ont besoin de ces mobilités sans lesquelles l'intégration régionale resterait une fiction. De même, l'UPM ne pourrait réussir si les étudiants, hommes d'affaires, artistes, intellectuels, restaient empêchés dans leurs déplacements. Il existe des énergies personnelles et collectives fantastiques à mobiliser, pour peu que ces acteurs soient laissés libres de leurs mouvements - ce qui n'exclut nullement le contrôle en commun des mobilités qui remplacerait les pratiques sécuritaires.
Le développement humain au Sud appelle par ailleurs un partenariat d'ampleur dans la santé (coopération médicale et pharmaceutique), et surtout dans le domaine de la formation. Il n'est pas envisageable d'entrer dans la société de la connaissance avec les taux d'analphabétisme, notamment féminins, que connaissent plusieurs des pays de la rive sud. Il faut à la région une grande politique commune pour rattraper l'immense retard pris sur les pays émergents d'Amérique et d'Asie orientale.
Le troisième chantier est celui des projets de codéveloppement durable. Les pays du Nord et du Sud doivent s'entendre pour lancer sans tarder quelques grands projets structurants : une politique méditerranéenne d'accès à l'eau et à l'assainissement, pour faire face ensemble à la menace commune du réchauffement climatique et à la pollution de la Méditerranée ; un programme de sécurité énergétique pour le Nord comme pour le Sud, associant fourniture de ressources énergétiques et partenariats industriels ; un pacte agroalimentaire et rural, pour valoriser les complémentarités agroclimatiques entre l'Europe et la rive sud et faire face aux crises alimentaires qui risquent de s'installer. L'outil financier de ces projets doit être une institution financière dédiée à la Méditerranée, qu'il faut créer comme l'Europe avait su le faire pour les pays de l'Est, qui permettra notamment de mobiliser les remises des immigrés méditerranéens et les fonds souverains des pays du Golfe.
Les entreprises sont au coeur de ce codéveloppement. Celles de la rive sud doivent accepter d'ouvrir leur capital à des partenariats internationaux, ce qui implique le risque d'une ouverture de leurs marchés domestiques à des intérêts privés étrangers. Celles de l'Europe doivent faire de même, et modifier leur comportement : considérer les pays de la rive sud ni comme des lieux d'extraction de matières premières, ni comme de simples marchés de consommation, ni encore comme des opportunités de délocalisation d'industries de bas de gamme. Mais au contraire, comme le Japon a su le faire avec les Dragons d'Asie, comme des partenaires pour la conquête des marchés mondiaux. Elles doivent rechercher un nouveau partage de la valeur ajoutée avec le Sud, fondé sur les seuls critères de l'efficience et des avantages compétitifs afin de constituer les bases productives qui les aideront à sauver leur industrie et à mieux faire face aux enjeux mondialisés de l'économie de la connaissance. En quinze ans, les pays de la rive sud peuvent devenir les Dragons de l'Europe.
Mesdames et messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, vous allez vous rencontrer le 13 juillet à Paris. Il dépend de vous que, ce jour-là, les deux rives de notre mer commune commencent, enfin, à se rapprocher et à envisager un destin confiant. Une Union est possible, riche de tous les progrès pour l'ensemble de nos populations. Ayez l'audace qu'il faut pour faire de ce sommet la reconnaissance d'un ancrage historique et le début d'un destin partagé. Le temps presse. A vous de jouer.
Ce texte, rédigé par Akram Belkaïd et Erik Orsenna, a été signé par les membres du comité de parrainage politique d'IPEMed :
Yassir Abdrabou, ancien ministre, Palestine ;
Kemal Dervis, administrateur du Programme des nations unies pour le développement, Turquie ;
Elisabeth Guigou, ancienne ministre, vice-présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, France ;
Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque centrale, Algérie ;
Mouloud Hamrouche, ancien premier ministre, Algérie ;
Alain Juppé, ancien premier ministre, France ;
Robert Malley, ancien conseiller du président pour le Proche-Orient, Etats-Unis ;
Fathallah Oualalou, ancien ministre, Maroc ;
Ely Ould-Mohamed Vall, ancien président de Mauritanie ;
Chris Patten, ancien commissaire européen, Royaume-Uni ;
Josep Piqué, ancien ministre, Espagne ;
Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne, ancien président du conseil, Italie ;
Carmen Romero, présidente du Círculo Mediterráneo, Espagne ;
Panagiotis Roumeliotis, ancien ministre et député européen, Grèce ;
Ismaïl Serageldin, directeur de la Bibliothèque d'Alexandrie, Egypte ;
Hubert Védrine, ancien ministre, France
Fin
Souce Le
Le Pèlerin