Algérie - Mer intérieure
Les vieux rêves se réalisent toujours un jour, tôt ou tard. Il ne faut pas croire que tous les détenteurs ou accapareurs du pouvoir sont tous des assoiffés de la rente ou des maniaques de la matraque. Il y a toujours, au fond d’un cacique, un poète qui sommeille avec un rêve enfoui. Un rêve de grandeur, bien sûr, qui lui permettrait de passer à la postérité. Les pharaons sont plus connus pour avoir édifié les pyramides, le Sphinx ou l’obélisque de Louqsor que pour avoir exploité des générations et des générations de populations jusqu’à l’épuisement des mines d’or.
Mais ce projet est un vieux projet. Il date, paraît-il, de la période coloniale, quand les Français ont fait des recherches en ce sens. Comme ils avaient trouvé le Sud trop sec, ils se sont mis à imaginer les moyens de détourner un peu de Méditerranée pour humidifier cette grande plage qu’est le Sahara. Puis, le projet, trop grand pour une petite nation sollicitée par ailleurs ou uniquement préoccupée par d'autres exploitations, a été remisé aux archives.
Oublié? Non! Pas par tout le monde, puisque le célèbre Rabah Bencherif, chef du Pnsd, parti né de la générosité du gouvernement Hamrouche, en avait fait son cheval de bataille pour épater une galerie qui n’arrivait pas à croire encore à la démocratie.
Comme certains avaient repris le plan de Constantine avancé jadis par le général De Gaulle pour établir un plan d’industrialisation du pays, Rabah Bencherif, brûlant toutes les étapes intermédiaires, dans une Algérie endettée jusqu’au cou, avec un baril de pétrole qui oscillait timidement entre 9 et 11 dollars, a présenté son projet de mer intérieure devant les yeux ébahis des téléspectateurs qui ne demandaient qu’à croire. Mais créer une mer intérieure n’est pas aussi aisé que de percer un canal fut-il de Suez ou de Panama.
Pourtant, à l’époque, si beaucoup de personnes ont souri devant le gigantisme du projet qui ne faisait appel ni à l’énergie solaire ni à l’énergie éolienne, aucune voix ne s’était élevée contre les conséquences néfastes du point de vue écologique sur un environnement qui avait oublié la mer depuis des millions et des millions de siècles. Il faut se rendre compte que le désert n’est pas vide, qu’il y a des insectes, des reptiles, des mammifères, quelques rares oiseaux qui devraient disparaître. Et puis, nul n’a imaginé les effets immédiats sur le climat.
Si certains se sont mis à rêver de mer du Sud avec hamac suspendu entre deux cocotiers, des touristes du Nord leur daiquiri à la main, des parasols multicolores et une faune marine variée, personne n’a continué le scénario plus loin. Mais le rêve a duré le temps qu’ont duré Bencherif et ses élucubrations. Et voilà que de nouveau, le rêve de mer intérieure revient sur le plateau avec cependant une garantie de plus de cent milliards de dollars comme nerf de la guerre. Toutefois, cette mer ne fera pas miroiter ses eaux au soleil brûlant du désert et ne menacera ni les fennecs, ni les scorpions, ni les lézards.
Elle restera intérieure, c’est-à-dire sous terre, mais ses eaux seront pompées pour désaltérer les hommes, les animaux et les plantes de la région orientale du nord du Sahara. Cette nappe a été jusqu’à présent exploitée par la seule Libye qui a réalisé un projet grandiose. Elle permettra, en tout cas, le développement de cette région qui en a bien besoin.
Une richesse sous terre est une richesse épargnée. Une telle richesse à l’air libre court les dangers auxquels s’exposent toutes les richesses: exploitation, évaporation, détournement.
Source L’Expression
Le Pèlerin