Algérie – Les Ténèbres ou la Modernité
L'Algérie est un beau pays méditerranéen. Il est vrai que durant les deux dernières décennies, elle a régulèrement, progressivement perdu beaucoup, beaucoup des caractéristiques qui font la beauté des pays qui constituent cette mer qui bat des records en matière d'événements culturels, de tourisme, de foot et dans certains pays, celui de taux de croissance confirmés et validés par les organismes internationaux dont les jugements ont force de vérité. Pendant les deux dernières décennies, le pays s'est trouvé déguisé d'oripeaux afghans, pakistanais, wahabites, soudanais, iraniens, tous n'ayant aucune filiation avec les traditions millénaires, les costumes, les musiques, la fête, l'altérité féconde, les cuisines, les boissons soft ou hard qui font la richesse, la séduction, l'histoire et l'attrait qu'exerce depuis des milliers d'années la Méditerranée.
Des gouvernances sages, intelligentes, tournées vers l'avenir, immergées dans leur propre histoire, respectueuses des femmes et des hommes, qui ont fait que la Méditerranée est à nulle autre pareille, ont oeuvré pour que leur pays méditerranéen le reste. Ces pays ont intégré, sans rien renier de leur originalité, de leur génie, de leurs apports à la civilisation mondiale, les empires, les colonialismes, les invasions et les apports dans tous les domaines de leurs envahisseurs, colonisateurs, pour les ingérer, les digérer, les «nationaliser» et s'épanouir aux yeux du monde. Les diverses religions, les rites et rituels, les danses, les costumes, les arts culinaires et sportifs, les fêtes de la plus petite, locale à celle d'envergure nationale, les grands pays méditerranéens les ont parfaitement adoptés, adaptés et surtout fructifiés. Prenons la langue française, les ruines romaines, l'arrivée des Arabes avec l'Islam, la colonisation «soft» turque, les «courses», les pirates et les corsaires, l'amazighité dans toutes ses déclinaisons, de tout cela, qu'ont fait les premiers décideurs nationaux. De 1962 jusqu'à l'été 2008, qu'ont-ils fait de ces couleurs, de ces richesses propres à la Méditerranée ?
Pour le pouvoir, pour des rentes fortifiées par les recettes de Sonatrach, par des procédés et procédures d'exclusion hérités du parti unique, de l'omniscience presque divine du pouvoir et de son chef désigné par ceux qui contrôlent les richesses dans les secteurs public et privé, l'Algérie s'est concentrée sur son seul nombril. Et cela, au nom d'une unicité virtuelle, qui n'a rien à voir avec l'unité, le consensus autour d'un projet porté par toutes ses composantes, différentes et enrichissantes comme l'ont fait d'autres nations, au départ disparates et aujourd'hui unies, fières de leur identité, multiforme, singulière et défendue par tous.
Ce pays, pour des raisons historiques, indiscutables est africain, musulman, amazigh, aux frontières de l'Europe, arabe depuis des siècles par la langue, mais il est foncièrement méditerranéen par ses rivages. Comme le sont le Liban, l'Egypte, la Tunisie, l'Espagne, etc. Il l'est par le métissage de ses musiques andalouses, berbères, de l'extrême sud, des Aurès, du mélange orano-espagnol, ec. Pourquoi s'acharner à vouloir s'amputer de la plus petite parcelle, au nom d'un «nationalisme» qui n'appartient à personne, d'un patriotisme qui doit plus aux plus humbles qu'à des héraults grassement rétribués, sectaires, intolérants, incompétents et, surtout, fainéants et aussi consistants que le mercure ? Cela porte des noms : intolérance, autoritarisme, refus de la démocratie et de l'alternance selon des codifications négociées et enfin consensuelles, imposables à tous et à chacun, dans l'intérêt général.
La modernité à travers les multiples labels décernés par les plus grands chercheurs, les plus brillants philosophes et sociologues, les prix Nobel d'économie, les historiens de renom mondial, est évacuée d'un revers de la main par les dirigeants. Ces derniers, sans cesse tiraillés entre des courants de pensée frontalement opposés, dangereusement stériles face aux enjeux planétaires, entre des politiques économiques incohérentes, qui changent au gré des hommes et des conjonctures, selon le coût du baril ou de l'avancée irrémédiable du désert, puisqu'on le regarde progresser sans un seul sursaut d'envergure, à la lumière des expertises internationales que personne n'invite à venir proposer des solutions, ces dirigeants ne regardent que les recettes des hydrocarbures et les TGV qui passent chez nos voisins, en dissertant sur les émeutes et la profonde désespérance de la jeunesse, qui est réputée, dans le monde, pour ne pas savoir cultiver la patience, un «nationalisme» qui ne lui apporte srictement rien. Et d'ailleurs, dans les grandes nations, on ne répond jamais aux revendications par des catégories philosophiques, religieuses, idéologiques ou sentimentales. Mais il est vrai que l'Algérie est «spécifique», encore et toujours en «transition». Vers quoi ?
Si le choix n'est pas fait de manière radicale entre les ténèbres et la modernité, de toute urgence, personne ne peut prédire les chocs à venir.
Source Le Quotidien d’Oran
Le Pèlerin