Violences conjugales et sexuelles en milieu rural - Entre déchéance, compromis et dénonciation
Les violences, qu’elles soient conjugales ou sexuelles, sont des actes abominables que subissent souvent en silence deux des franges les plus fragiles de la société : les femmes et les enfants.
Des actes bestiaux qui entraînent toujours des conséquences dramatiques sur la santé physique et mentale des victimes, jusqu’à menacer l’avenir scolaire des enfants et socioprofessionnel des adultes, quand ce n’est pas leur avenir tout entier.
Si ces actes sont de moins en moins fréquents en milieu urbain où ils ne passent plus inaperçus, compte tenu du fait notamment que les victimes possèdent généralement un bagage intellectuel ou ont une certaine liberté d’agir leur permettant d’alerter un proche ou qui de droit, il n’en est pas de même en milieu rural où elles sont souvent soumises à la loi de l’omerta, le scandale du qu’en dira-t-on bloquant toute initiative
Lors notre enquête, nous avons pu rencontrer nombre de couples et de victimes, qui nous ont livré divers témoignages, parfois poignants. Cela va de la petite dispute, sans gravité notable pour la famille, jusqu’à des situations dramatiques.
Arrangements et compromis
Dans certains cas et comme nous avons pu le découvrir tout au long de notre reportage, le calme et la sérénité prévalant dans le couple ou tout semble aller pour le mieux résulte d’un arrangement tacite ou voulu entre les conjoints quant à fermer les yeux sur leurs conduites respectives. Le mari met par exemple à la disposition de son épouse tous les moyens matériels et financiers nécessaires et cette dernière ferme les yeux sur le comportement quelque volage de son époux ou accepte que ce dernier prenne une deuxième épouse. De son coté, mais c’est extrêmement rare, l’épouse lui rend la monnaie de la pièce en s’offrant un amant. Celle-ci s’en défend d’ailleurs en imputant la cause de cette situation au mari, tout en ayant à l’esprit que tout acte au grand jour peut avoir des conséquences dramatiques sur les enfants, qui payent pour les fautes de leurs parents. Le cas de S. D, 38 ans, quatre enfants, mariée depuis une quinzaine d’années, est édifiant. Son époux, après quelques disputes suite à des rumeurs ayant circulé sur son infidélité et qui ont entraîné l’intervention des beaux-parents, décide de déménager vers le chef-lieu de Béjaïa. Il y installe son épouse et ses enfants dans un appartement de standing ou rien ne leur manque. Petit à petit, les anciennes rumeurs se sont avérées exactes. Et les disputes de redoubler d’intensité. Le papa s’absentait de plus en plus. Il passait des journées et des nuits entières loin du domicile conjugal. Le couple, d’un commun accord et pour éviter le divorce, accepte de jouer le jeu qu’il faut vis-à-vis de leurs familles respectives et de continuer à vivre ainsi. Mais il est convenu que l’époux entretienne son foyer de façon conséquente.
«Mon mari a tenu ses promesses, nous ne manquons de rien, j’ai même ma petite voiture. Pendant deux ans j’ai vécu ainsi, jusqu’au jour où j’ai fait la connaissance d’un jeune homme venu installer une deuxième parabole chez moi. Je fus séduite et ravi de ses flatteries et de son attention à mon égard. Si au début on se voyait dehors, les absences de mon semblant de mari se faisant de plus en plus longues, je le recevais par la suite à la maison.» Concernant d’éventuels remords, elle nous a dit : «De temps en temps, je ne vous cache pas que j’éprouve un sentiment de gène, de mal-être. Mais je me dis que c’est quand même de sa faute, puisque c’est lui qui a commencé ; et lorsqu’on ensemble aborde le sujet de nos obligations conjugales, il me répond : tu es libre de prendre un amant. Je l’ai donc pris au mot.»
Les violences conjugales
Des filles n’ayant pas atteint leur maturité sont mariées de force avec la complicité de parents plus attirés par le statut social de l’époux que soucieux de l’avis de leur fille. Que de cas de fugue, d’infanticide, d’adultère et de tentative de suicide nous ont été signalés ça et là dans la région. Le mari, en sa qualité de chef de famille, s’offre le droit de sévir comme il l’entend et tous ses actes sont tolérés, pour ne pas dire excusés. Il ne reste plus aux femmes qu’à accepter d’être battues ou humiliées. Elles préfèrent souffrir en silence et garder le secret au lieu de porter plainte, de peur d’être répudiée et de devenir la risée du voisinage, voire de tout le village. Outre les violences conjugales, physiques ou verbales, certaines femmes des villages sont victimes de violences qui parfois les obligent à avoir de nombreuses grossesses rapprochées malgré leur état de santé précaire. Dans certains hameaux, les femmes prient Dieu à chaque grossesse pour avoir un garçon, surtout pas une fille. Car pour certains maris, la naissance d’une fille devient un prétexte pour divorcer ou prendre une seconde épouse.
Selon les investigations entreprises par la cellule de communication de proximité de la commune d’Adekar, en collaboration avec son homologue de Melbou, le constat des violences est amer, le phénomène prenant de l’ampleur. Et les enfants et les femmes payent durement les conséquences de dérives comportementales ou sexuelles d’hommes pervers. Une psychologue exerçant au sein de cette cellule nous explique : «Généralement, on commence par un entretien ordinaire qui traite de l’échec scolaire des enfant ou des angoisses de la mère ou de la fille. Peu a peu, on découvre des préoccupations autres que celle abordées au début de l’entretien : violences sexuelles du père envers la mère ou ses propres filles ; un grand frère qui abuse de sa sœur ou de son petit frère pendant des années sans que les parents le sachent, etc.»
Ces victimes sans souvent sans défense, eu égard au poids des tabous et aux mentalités qui règnent. Et les victimes de violences sexuelles en milieu rural n’entreprennent généralement pas de démarche judiciaire, surtout dans les zones reculées, pour ne pas être confrontées à leur entourage, par ignorance de leurs droits ou tout simplement par manque de moyens financiers pouvant permettre de supporter des frais de justice. «Notre tâche consiste essentiellement à sensibiliser la population et impliquer le mouvement associatif et l’ensemble de la société civile sur ces problèmes. Les psychologues exercent le plus souvent dans l’isolement le plus total. Nous arrivons parfois à constituer des équipes pluridisciplinaires, mais c’est encore insuffisant», nous dit la responsable de l’association. On peut citer également le cas des filles mères après avoir été enlevées par des groupes terroristes et qui disent avoir subi l’enfer dans les maquis. Souvent, quand les parents acceptent de reprendre leur fille, le «rejeton», lui, est par contre abandonné au niveau de la DAS. Il suffit de faire un tour dans les pouponnières pour se rendre compte de ce phénomène. Parfois, ces filles mères optent malheureusement pour le suicide
Le harcèlement sexuel, ce mal pernicieux
On ne peut clore ce dossier sans signaler les harcèlements et abus sexuels que subissent certaines jeunes filles et femmes en milieu professionnel.
Leur bourreau est souvent le responsable hiérarchique, qui utilise la menace de licenciement ou d’autres subterfuges pour obtenir ce qu’il veut.
Certaines femmes ont eu le courage d’en parler, grâce à l’association Rachda qui est en train de constituer tout un dossier, avec les témoignages de dizaines de femmes, afin d’entamer des poursuites judicaires à l’encontre des responsables de ces actes ignobles, même s’ils ne sont pas légion. Z. H., 33 ans, nous résume son cas : «Mon patron m’a harcelé durant des mois, ses propositions d’abord sournoises se sont progressivement précisées. Un jour, il m’a remis les clefs d’un appartement où il devait me retrouver ; j’ai refusé mais je ne savais plus quoi faire.
Source Le Jeune indépendant
Le Pèlerin