1954, Pierre Mendès France et les indépendances : Indochine, Tunisie, Algérie (2/5)

Sétif (1945) puis Diego-Suarez (1947)
Le 30 janvier 1944, de Gaulle prononce un discours, à Brazzaville, dans lequel il affirme vouloir « établir sur des bases nouvelles l'exercice de la souveraineté française. » C'est encore de Gaulle qui décide d'introduire 63 députés d'outre-mer à l'Assemblée constituante, sur 522 membres, dont 25 représentaient les colonies (les femmes arrivent donc en même temps que les colonisés !). Parmi eux, Houphouet-Boigny, Senghor, Césaire. En mars 1945, le cheikh Ibrahimi, président de l'association des Oulémas, déclare, à Tlemcen, que l'indépendance de l'Algérie a été demandée au président Roosevelt et que celle-ci serait accordée au moment de la conférence de San Francisco, lors de la signature de la paix avec le Japon, en 1951. Pour lui, « Les Musulmans ne sollicitent pas d'être élevés à la citoyenneté française, ils se considèrent déjà comme très élevés de par leur qualité de musulmans. » Les 2-3-4 mars, se déroule la conférence centrale des Amis du Manifeste et de la Liberté. Le 29 avril, Ferhat Abbas affirme que la conférence des Nations Unies assurera la liberté de tous les peuples, donc, aussi, du peuple algérien. Le 15 juin précédent, il avait déclaré, à Khenchela, qu'il fallait « forcer la main aux Français, leur faire comprendre notre volonté, les yeux dans les yeux. ». Des PPA veulent organiser l'insurrection générale, malgré les appels au calme de l'AML. Le préfet de Constantine avait déjà estimé, le 31 mars, qu'il « convient de veiller à ce qu'aucun événement sanglant ne sépare définitivement Français et Musulmans. » Le secrétaire général du Gouvernement général, Gazagne, décide, le 19 avril, de faire arrêter Messali Hadj. Il le fait transporter à El Goléa puis à Brazzaville.
Le 1er mai, les organisations nationalistes demandent la libération de Messali et l'indépendance de l'Algérie. Des manifestations ont lieu dans toute l'Algérie. A Alger, des heurts avec la police font 13 blessés et 3 morts chez les manifestants. Il y a aussi des blessés à Bougie et à Oran. Du 3 au 6 mai, une trentaine d'arrestations « préventives » ont lieu. Des troupes sont envoyées dans le Constantinois. La rébellion devait débuter le jour de l'armistice, le 8 mai. Le PPA (Parti du peuple algérien) donna parfois, à ses militants, l'ordre de s'armer et de riposter face à la police. La manifestation de Sétif avait été autorisée à la condition qu'il n'y ait pas de banderoles nationalistes. A Alger en effet, des manifestants avaient arboré le drapeau vert et blanc marqué de l'étoile et du croissant. La manifestation se transforme en émeute à partir du moment où la police cherche à s'emparer des banderoles et du drapeau algérien. Les manifestants, entre 8000 et 10000, étaient venus armés de matraques, d'armes blanches, de revolvers. Il y eu vingt-neuf morts, de nombreux blessés. L'insurrection s'étend aux campagnes, dans les centres de colonisation entre Bougie, Djidjelli et Sétif, à Bône, Guelma, Batna, faisant une centaine de victimes françaises, parfois violemment mutilés. Des lignes téléphoniques sont coupées, des maisons forestières incendiées. Le général Duval, commandant la division de Constantine, engage des milliers d'hommes, tirailleurs sénégalais, tabors marocains, Légionnaires dans la répression et le ratissage, faisant appel et à l'aviation et à la marine. A Guelma, 500 à 600 Algériens sont fusillés après une parodie de jugement. Ce sont 6000 à 8000 Algériens qui y perdent leur vie. L'ordre est rétabli le 13 mai mais des foyers de rébellion subsistent dans les massifs montagneux. L'AML est dissous. Le ratissage se poursuit jusqu'en juin. 18 avions bombardèrent 44 mechtas (3000 habitants). Le croiseur Duguay-Trouin bombarda les contreforts du Babor. A la répression militaire et policière s'ajouta la répression civile menée par des groupes d'auto-défense. La répression judiciaire toucha 5460 suspects arrêtés (dont 3696 dans le Constantinois). Les tribunaux militaires prononcèrent 1307 ou 1476 condamnations, dont 99 ou 121 à la peine de mort. Il y eut 20 à 28 exécutions. Le PPA parla de « génocide ». A partir du 10 mai, les radios françaises d'Afrique du Nord attribuèrent les émeutes à des « éléments troubles de source hitlérienne » (Radio Maroc) ou à des « terroristes hitlériens » (Radio Alger)....
C'est une situation comparable que l'on retrouve à Madagascar, où, comme en Algérie, la France fait la sourde oreille. En mars 1946, deux jeunes députés malgaches, membres du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), Joseph Raseta et Joseph Ravoahangy, déposent sur le bureau de l'Assemblée Nationale à Paris, un projet de loi demandant l'indépendance de l'île dans le cadre de l'Union française. Vincent Auriol, alors président de l'Assemblée, refuse de faire imprimer ce texte car « c'était un acte d'accusation contre la France et, en somme, un appel à la révolte ». Le projet de loi est repoussé. Aux élections législatives suivantes de novembre 1946, les trois sièges du second collège (réservés aux « indigènes ») sont remportés par les dirigeants du MDRM, Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara.
En 1947, la Grande Île compte 4 millions d'habitants dont 35 000 Européens. Le 29 mars 1947, l'île se soulève. A Diego-Suarez, Fianarantsoa et Tananarive, les insurgés sont tenus en échec. Ailleurs ils remportent des succès avant d'être refoulés. Des plantations européennes isolées sont attaquées. Dès le mois d'avril, les autorités envoient à Madagascar un corps expéditionnaire de 18 000 hommes - essentiellement des troupes coloniales ; il sera porté à 30 000 hommes. La répression de l'armée française est typique : exécutions sommaires, torture, regroupements forcés, incendies de villages. Elle expérimente une nouvelle technique de guerre "psychologique" : des suspects sont jetés vivants d'un avion afin de terroriser les villageois de leur région. La lutte va se poursuivre dans l'Est du pays, où deux zones de guérilla résistent dans la forêt pendant plus de 20 mois.
En France, quelques journaux parlent du soulèvement mais le gouvernement et l'ensemble des organes de presse minimisent son importance et ne disent rien de la répression. En vingt mois, selon les comptes officiels de l'état-major français, la « pacification » a fait 89 000 victimes chez les Malgaches. Les forces coloniales perdent quant à elles 1 900 hommes. On relève aussi la mort de 550 Européens, dont 350 militaires. Dès le début, le gouvernement de Paul Ramadier avait fait porter la responsabilité de l'insurrection sur les trois parlementaires malgaches du MDRM. Les trois jeunes parlementaires, informés du projet d'insurrection, avaient diffusé dans les villages un télégramme demandant instamment à chacun d'éviter les violences. Leur appel était resté sans effet, mais, pour gouvernement français, ce télégramme était en fait un texte codé qui signait leur « crime ». Leur immunité parlementaire ayant été levée, ils sont arrêtés et torturés. La justice française les jugera coupables, retenant la thèse du complot du MDRM. Deux d'entre eux seront condamnés à mort, avant d'être finalement graciés. En date du 10 juillet 1947, le président de la République, Vincent Auriol, écrivait :
« Il y a eu évidemment des sévices et on a pris des sanctions. Il y a eu également des excès dans la répression. On a fusillé un peu à tort et à travers ».
Albert Camus avait protesté dans un article de Combat du 10 mai 1947 . Constatant que "nous faisons ce que nous avons reproché aux Allemands de faire", il poursuivait : "si, aujourd'hui, des Français apprennent sans révolte les méthodes que d'autres Français utilisent parfois envers des Algériens ou des Malgaches, c'est qu'ils vivent, de manière inconsciente, sur la certitude que nous sommes supérieurs en quelque manière à ces peuples et que le choix des moyens propres à illustrer cette supériorité importe peu." A propos du Maroc, Paul Ricoeur publie un article dans Réforme le 20 septembre 1947, intitulé "La question coloniale". On y lit notamment :
"L'appétit forcené et souvent prématuré de liberté qui anime les mouvements séparatistes est la même passion qui est à l'origine de notre histoire de 1789 et de Valmy, de 1848 et de juin 1940."
En Algérie, une loi d'amnistie fut votée le 16 mars 1946. Ferhat Abbas fonde l'UDMA (l'Union démocratique du Manifeste algérien). Messali Hadj est libéré en novembre 1946 et rentre du Gabon. Il crée le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). Les institutions de la quatrième République naissante, après l'élection du président Auriol, discutent d'un statut nouveau pour l'Algérie. Le projet gouvernemental défendu par le ministre de l'Intérieur, Edouard Depreux, qui reprend les propositions de Bidault, fut adopté, le 20 septembre 1947, par 322 voix pour, 92 contre. L'existence de deux collèges (citoyens français de plein droit + 58000 citoyens musulmans de statut local d'une part, second collège pour 13000000 électeurs musulmans) reprenait l'ordonnance de 1944. La nouveauté : élaborer un nouveau régime communal, organiser le vote des femmes musulmanes, définir un nouveau régime du culte musulman, étendre l'enseignement de l'arabe. Ce statut ne fut jamais mis en œuvre.
A suivre…Demain, la volonté et la représentation de Pierre Mendès France
Source http://www.sens-public.org
Le Pèlerin