L'Étranger, né Camus
Camus à tipasa
Je vous présente une seconde version de la vie de Camus complémentaire à la simple biographie que je vous avais faite lors d’un article précédent.
Cet article présente des informations complémentaires à celles de mon précédent article. Cet article je l'ai récupéré dans "La Littérature française" un livre fort intéressant.
Etrange destin que celui de Camus, qui semble avoir préparé ou annoncé dans chacune des phrases de son œuvre le hasard de sa propre fin.
Dépêche
Tiens pour changer, pourquoi n'achèteriez-vous pas le journal Le Monde, en ce mercredi 6 janvier 1960 ? C'est fait ? Il fait froid, un vent vif cingle vos joues. Vous entrez dans un café. Vous vous asseyez sur la banquette de moleskine rouge sombre. En attendant le garçon, vous ouvrez votre journal, et vous n'en croyez pas vos yeux ! Vous lisez : Lundi 4 janvier I960. Route Nationale numéro 5, entre Sens et Fontainebleau : Albert Camus est tué dans la Facel Vega conduite par Michel Gallimard. Il avait quarante-trois ans. Albert Camus, mort ? Mais, comment, que s'est-il passé ? C'est tellement absurde, oui, absurde. Et vous vous rappelez : l'absurde ! Le thème de prédilection d'Albert Camus. Son roman, L'Étranger... Cette première phrase que vous connaissez par cœur : Aujourd'hui, maman est morte. Où peut-être hier, je ne sais pas...
Meursault tue
L'Étranger ! Meursault qui se raconte, qui décrit sa vie monotone à Alger. On le dirait étranger à tout, rien n'a de prise ou d'emprise sur lui, pas même l'amour de Marie qu'il rencontre au lendemain de l'enterrement de sa mère. Tout lui est égal. Il est absent de sa propre scène, du théâtre de ses jours.
Et puis voici qu'une bagarre éclate sur la plage. Le pistolet de celui qu'il défend, Raymond Sintes, se retrouve dans ses mains. La bagarre terminée, Meursault s'en va, puis revient sur les lieux : il croit voir une lame briller dans le soleil, alors il tire, trois fois, quatre fois. Meursault vient de tuer. Son procès a lieu. Il est condamné à mort. Alors il s’éveille, se révolte lace à l'absurde. Il est sur d’avoir été heureux puisqu’il l’est encore. Mais il est bien tard car l'absurdité est au pouvoir, partout l'innocent Meursault est devenu un Meurtrier sans raison, par hasard, sans le vouloir. Il va subir la peine de mort, autre absurdité. Mort, Camus….
L’Article du Monde
C'est vers 14 h 15 que s'est produit sur la route nationale numéro 5, à vingt-quatre kilomètres environ de Sens, entre Champigny sur Yonne et Villeneuve-la-Guyard l'accident qui a coûté la vie à Albert Camus. La voiture, une Facel Vega, se dirigeait vers Paris. L'écrivain était à l'avant, à côté du conducteur M. Michel Gallimard. D'après les premiers témoignages, la puissante automobile qui roulait à une très vive allure, 130 kilomètres à l'heure selon certains, a brusquement quitté le milieu de la route, toute droite à cet endroit, pour s'écraser contre un arbre è droite de la chaussée.
Sous la violence du choc, la voiture s’est disloquée. Une partie du moteur a été retrouvée à gauche de la route, à une vingtaine de mètres, avec la calandre et les phares. Des débris du tableau de bord et des portières ont été projetés dans les champs, dans un rayon d'une trentaine de mètres. Le châssis s'est tordu contre l'arbre. D'après les premières constatations de la gendarmerie l'accident aurait été provoqué par l'éclatement d’un pneu, mais cette version n’est pas encore confirmée. II n'est pas impossible que le conducteur ait eu un malaise.
Journal «Le Monde», 6 janvier 1960
La conscience de l'absurde
Vous lisez sa brève biographie : Albert Camus est né à Mondovi, en Algérie, le 7 novembre 1913. Son père, Lucien Camus, ouvrier agricole meurt à la guerre, en 1914. Sa mère, Catherine Sintes, une jeune servante d'origine espagnole ne sait pas écrire et s'exprime avec difficulté. Elle s'installe dans un des quartiers pauvres d'Alger, Belcourt. Grâce à l'aide de l'un de ses instituteurs, M. Germain, Albert Camus obtient une bourse et peut ainsi poursuivre ses études. Mais, atteint de tuberculose, il ne peut passer l'agrégation de philosophie. Journaliste à Alger Républicain, puis à Paris Soir, il milite dans les rangs de la Résistance dès 1942. C'est l'année de L'Étranger et du Mythe de Sisyphe - un essai où l'absurde entre dans la conscience rationnelle comme une donnée fondamentale de la vie.
Camus en pensées
- J’ai une patrie : la langue française - Carnets.
- La passion la plus forte du XXe siècle : la servitude - Carnets.
- Il n'y a pas d'amour sans désespoir de vivre - L'Envers et l'Endroit
- L'homme est du bois dont on fait les bûchers - L'État de siège.
- La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent -L'Homme révolté.
- La mort n'est rien. Ce qui importe, c'est l'injustice - La Peste
- L'absurde, c'est la raison lucide qui constate ses limites - Le Mythe de Sisyphe
Il est en l'air !
La rencontre de Jean-Paul Sartre et de Camus, en 1944, est pleine de promesses. Sartre écrit de son nouvel ami qu'il est l'admirable conjonction d'une personne et d'une œuvre. Bien ! Mais lorsque Camus publie, en 1951, L'Homme révolté où il condamne le marxisme qu'il accuse de totalitarisme, l'équipe de la revue des Temps modernes se déchaîne. Jean-Paul Sartre qui la dirige écrit : Camus n'est ni de droite, ni de gauche, il est çn l'air ! Les démêlés entre les deux hommes agitent durablement le petit monde germanopratin (c'est-à-dire de Saint-Germain-des-Prés, cœur de la vie littéraire, à Paris). Ils ne se réconcilieront pas.
Des héros ordinaires
En 1947, Camus publie son deuxième roman : La Peste. Il s'agit d'une chronique fictive, tenue par le Dr Rieux, sur la propagation de l'épidémie de peste à Oran, dans la décennie des années 40. Le lecteur comprend ainsi, dès les premières pages, que la peste n'est pas la peste, c'est l'allégorie du nazisme qui a commis ses ravages en Europe et de toutes les oppressions politiques. Point d'ostentation, point de héros brillants, magnifiques dans La Peste, seulement des héros ordinaires, c'est-à-dire des hommes qui ne marchandent pas leur générosité, qui servent des idéaux à la portée de tout le monde : la paix au quotidien, le bonheur. Le succès du roman en France et à l'étranger ne s'est jamais démenti.
L'étrange Clamence
La crise algérienne atteint Camus au plus profond de ses racines ; il écrit sa douleur dans de nombreux articles qui paraissent dans L'Express. À Alger, il lance un appel à la réconciliation, que personne ne veut entendre. Est-ce cette surdité du monde qui le conduit à publier La Chute ? Cette œuvre, qui prend la forme d'un récit, demeure énigmatique : un narrateur, Clamence, réfugié dans la géographie concentrique d'Amsterdam semble vouloir démonter toute la construction idéologique de l’auteur lui-même. Le cynisme et l'Ironie qui se mêlent à sa virtuosité langagière atteignent, par ricochet, le lecteur, qui se sent impliqué dans cette réflexion, étourdi, désarçonné.
Grenier, Guilloux, Guéhenno, Mac Orlan
Albert Camus a pour professeur, à Alger, Jean Grenier (1898-1971), né à Paris, mais élevé à Saint-Brieuc d'où sont originaires ses parents. C'est là que Grenier fait la rencontre d'un autre jeune Briochin : Louis Guilloux (1899-1980). Celui-ci, fils de cordonnier, publie en 1927 La Maison du peuple, une histoire de solidarité entre ouvriers guettés par la misère. Ce livre émeut un autre fils de cordonnier, grand universitaire, normalien et écrivain : Jean Guéhenno (1890-1978), né à Fougères. Les deux hommes se lient d'une amitié indéfectible. Autre ami sûr de Guilloux : André Malraux. Le chef-d'œuvre de Louis Guilloux, Le Sang noir, paraît en 1935 ; il rate de peu le Concourt, ce qui ne l'empêche pas d'obtenir un succès international. On y découvre un personnage étonnant : le professeur de philosophie Cripure - qui tire son surnom de la déformation de la Critique de la raion pure, en Cripure de la raison tique... Cet être rejeté de tous sert de révélateur à l'abjection du monde. Ses aventures sont conduites par la plume généreuse, tendue et magnifique d'un Louis Guilloux, toujours bouleversé par les déshérités. En 1949, il obtient le prix Renaudot avec son roman Le Jeu de patience.
Contemporain de ces trois Bretons, Pierre Mac Orlan (1882-1970 - Mac Orlan est le pseudonyme de Dumarchey) naît à Péronne, connaît la misère noire à Montmartre. Puis il s'y fait des amis : Max Jacob, Apollinaire, Carco, Dorgelès, Picasso, Vlaminck. Il y rencontre celle qui devient son épouse pour... cinquante-deux ans! Il y écrit Le Quai des brumes (1927) devenu en 1938 le film à succès que tout le monde connaît!
Œuvre utile
Pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes, tels sont les termes employés par le jury Nobel pour justifier l'attribution de son prix de littérature à Albert Camus, en 1957. C'est la gloire suprême. Tout le monde -ou presque... - congratule Camus, mais Camus est amer. Il aurait préféré que ce prix fût décerné à son ami, son maître, celui qu'il admire : André Malraux ! Vous êtes toujours assis sur la banquette de moleskine rouge sombre, dans le café où vous vous êtes réfugié pour fuir la bise d'hiver. Le garçon ne vous a pas encore servi. Votre regard se perd à travers la vitre dépolie qui filtre la lumière pâle. Soudain, une phrase vous revient, une phrase lue dans Le Mythe de Sisyphe, qui vous avait marqué : Ce qui vient après la mort est futile... Camus, mort ? Non : ses phrases sont vivantes ! Et toute son œuvre, utile...
Le Pèlerin