Le Monde Pyrénéen
Eglise de Vèbre en AriègeLa lessive à l'abreuvoir
La procession des "Cagots"
Les Pyrénées, cette infinité de petits mondes dont la juxtaposition couvre six départements et s'étire sur 430 km de l'Atlantique à la Méditerranée, ont fait l'objet de très nombreuses descriptions : écrits de gens de lettres illustres en villégiature comme Victor Hugo, George Sand, Thiers ou Michelet, ou d'auteurs plus obscurs comme Jean Dusaulx avec Voyage à Barèges et dans les Pyrénées, écrit en 1788, ou encore Etienne Arbanère et son Tableau des Pyrénées françaises, paru en 1828.
Mais il est aussi des observateurs plus ethnographes comme Ramond qui, dès 1789, publie ses Observations faites sur les Pyrénées, témoignage incomparable sur la société pyrénéenne de l'époque, sans oublier, à partir du XIXème siècle, la parution d'une multitude de guides. Dès 1834, le guide Richard devient le compagnon indispensable d'un touriste curieux. Victor Hugo, qui le qualifie de stupide, le possède dans sa bibliothèque de Guernesey, le consulte et parfois même s'en inspire. Citons enfin les nombreux guides, extrêmement précieux, d'Adolphe et Paul Joanne publiés vers la fin du siècle dernier par la librairie Hachette.
Tous ces écrits, d'une grande rigueur scientifique pour les uns et d'une fantaisie toute folklorique pour les autres, nous invitent à découvrir la spécificité d'un monde pyrénéen tout de richesse et de nuances.
Si les Pyrénées présentent une grande diversité dans la pratique de langues aussi dissemblables que le catalan et le basque, parlés aux deux extrémités de la chaîne, et des différences sensibles dans les costumes, les coutumes et les comportements, ces différences, souvent nuances d'une tradition commune, ne sauraient faire oublier les trois principes fondamentaux qui régissent la vie de tous les habitants de la chaîne : l'amour de la liberté et de l'indépendance, l'attachement aux communautés des vallées, les activités orientées vers la vie agricole et pastorale.
Communautés des Montagnes - Un désir de liberté et d'indépendance
Des petites républiques indépendantes
Plusieurs cantons des Pyrénées ont longtemps vécu comme de véritables républiques indépendantes. Les habitants de la vallée d'Aspe se sont longtemps plu à dire qu'ils n'avaient « ni seigneurs, ni corvées, ni servitudes féodales, ni gênes intérieures » et qu'ils formaient en quelque sorte « une petite république libre et presque indépendante ». Il en est de même pour le val d'Aran, libre de toute emprise féodale jusqu'au XIVème siècle et dont les habitants bénéficieront jusqu'au milieu du XIXème siècle de privilèges considérables : libre possession de leur montagne avec droits de pâturage et d'eau pour l'irrigation, dispense d'impôts et de service militaire, droit de lever leur propre milice. Quant à la vallée de Campan, elle fut pendant longtemps « une véritable république pastorale quasi autonome », libre de choisir ses consuls, et surveillant attentivement l'intégrité de son territoire.
Cet esprit d'indépendance trouve sa meilleure expression dans les actes d'insoumission des Pyrénéens face-aux institutions nationales : le service militaire ou l'école.
L'obligation, décrétée en 1798, d'accomplir un service militaire déclenche chez les jeunes Pyrénéens une très vive opposition. Ils essaient par tous les moyens de se faire exempter : plus de 50 % dans les Hautes-Pyrénées au début du XIXème siècle, un peu plus de 40 % en Ariège, 30 % dans les Pyrénées-Atlantiques et les Pyrénées-Orientales. Ils ont recours à l'insoumission et même à la désertion. U « horreur du service militaire » constitue la cause principale de l'émigration des jeunes Basques. Et toute la communauté est complice : les parents « oublient » de déclarer la naissance de leur fils ou falsifient son sexe, « déclarant fille ce qui était garçon », détruisent les registres de naissance ou font enregistrer des décès factices ! Ce n'est que dans le courant du XIXème siècle que ce phénomène perdra de son ampleur sous l'impulsion de préfets menacés de destitution s'ils ne font pas la chasse aux insoumis.
Quant à l'école, instrument essentiel certes d'alphabétisation mais surtout de « francisation » des populations, les Pyrénéens y sont hostiles : le français reste pour la plupart langue étrangère et pour ainsi dire de cérémonie. Il faudra attendre 1914 - et la vigilance de plusieurs générations d'instituteurs réprimant sévèrement, même dans les cours de récréation, l'usage du patois - pour que la lecture et le français pénètrent dans les villages de montagne.
Respect de la liberté
Le souci du respect de la liberté individuelle /\ est attesté dès le Moyen Age. Ainsi en Aragon, sur le versant espagnol, la liberté individuelle est aussi bien protégée que par n'importe quelle constitution libérale et les représentants du pays investissent leur chef par cette formule éloquente :
« Nous qui valons chacun autant que vous et qui, réunis, pouvons plus que vous, nous vous établissons notre seigneur à condition que vous respecterez nos droits et privilèges ; sinon, non. »
Mais respecter l'autre c'est aussi faire preuve de discrétion à son égard, et le Pyrénéen possède le sens profond de cette hospitalité discrète comme nous le rappelle dans, De l'Andorre, ouvrage publié en 1823, son auteur anonyme :
« Les étrangers sont reçus, surtout à l'approche de la nuit, à la table et au foyer ; le maître se montre peu curieux ; son hôte peut passer la nuit, prendre un repas le lendemain sans qu'aucune question même indirecte lui soit adressée sur ses affaires ou sa personne. »
La propriété individuelle est sacrée et le guide Richard nous assure « qu'on trouve rarement des serrures et des clefs aux portes des maisons ».
La liberté individuelle bafouée : l'exclusion des « Cagots »
Les cagots - que le Littré définit à tort comme « une peuplade des Pyrénées affectée /*. d'une sorte de crétinisme » - forment une caste qui, au Moyen Age, vit à part du reste de la population. Dans le sud de la France et le nord de l'Espagne, les cagots encore appelés « cacous » ou « agotes » ou « chrestiaas » en Béarn sont, comme les lépreux et les juifs, relégués dans des lieux d'où ils ne peuvent sortir que marqués d'un signe infamant qui les fait reconnaître : « Ils doivent coudre sur leurs vêtements une marque distinctive en forme de pied d'oie ou de canard. » Dans les campagnes, leurs habitations sont séparées du village par un cours d'eau ou un bosquet. Tout commerce avec les autres habitants leur est
interdit. A l'église, ils sont tenus à l'écart des autres fidèles, un bénitier particulier leur est affecté et le pain béni leur est jeté pour éviter tout contact. Les prêtres refusent parfois de les entendre en confession ou de leur administrer les sacrements. Ils sont ensevelis à part dans un coin du cimetière. L'accès à tous les lieux communautaires leur est refusé : moulin, lavoir ou fontaines. Défense leur est faite de danser, de jouer avec les autres, de demander l'aumône et même de labourer. Seul le travail du bois - réputé non conducteur de la lèpre dont on les accuse d'être porteurs - leur est autorisé. Ils sont donc bûcherons ou charpentiers, fabriquent des cercueils et construisent des potences pour l'exécution des criminels. Ils ne peuvent ni ester en justice, ni accéder à la prêtrise et sont jugés indignes de porter les armes.
Les Etats de Navarre leur interdisent de contracter mariage en dehors de leur caste. Eugène Cordier signale cependant que l'on consent à épouser un cagot s'il y a promotion sociale : « On épouse une Cagote si elle est riche à merveille. » D'autre part, un cagot né en 1736 à Navarrenx, Bertrand Dufresne, devient intendant général de la marine et des colonies et obtient le titre de conseiller d'Etat. Élu en 1797 député de Paris, il est même appelé par Bonaparte au poste de directeur du Trésor Public.
Bien que tout symptôme de lèpre ait disparu dès la fin du XVIème siècle, il faudra attendre pas moins de deux siècles pour faire tomber des préjugés si profondément entrés dans les mœurs à l'encontre de cette « race maudite » des cagots dont chansons et proverbes se sont fait l'écho railleur et méprisant. Et l'épithète de « cagot » a longtemps résonné dans les vallées pyrénéennes comme une insulte infamante lancée au visage d'un rival ou d'un ennemi.
A suivre
Source autrefois les Pyrénées
Le Pèlerin