Quel avenir pour les partis islamistes ?
Cas - L’Algérie a fait finalement l’exception. Les islamistes n’ont pas remporté les législatives du 10 mai dernier. Beaucoup d’entre eux ont donc décidé de ne pas siéger dans la future APN.
L’émergence récemment de gouvernements islamistes dans la région de l’Afrique du Nord, à la faveur de la chute des régimes autoritaires de Ben Ali en Tunisie et de Kadhafi en Libye, les réformes du souverain marocain qui a nommé un chef de gouvernement islamiste, n’ont pas eu d’effet sur le courant des choses en Algérie. Nos politiques l’avaient bien prédit.
Le ministre de l’Intérieur, lors d’une déclaration faite à la Radio nationale, avait été catégorique en affirmant que la prochaine Assemblée populaire nationale (APN) ne sera pas de majorité islamiste. Pour une fois, nos politiques et même nos ministres ont eu bien raison.
Les islamistes ont tout bonnement raté le coach. Et c’est le Front de libération nationale (FLN) qui obtient 208 sièges (recours auprès du Conseil constitutionnel) suivi du Rassemblement national démocratique (RND) avec 68 sièges. Quant à l'Alliance de l'Algérie verte (AAV) formée par trois mouvances islamistes, à leur tête le (MSP) de Bouguerra Soltani, elle n’en a obtenu que 50 sièges en tout, en perdant encore un siège à la faveur des résultats définitifs rendus publics par le Conseil constitutionnel, moins d’une semaine après ceux annoncés par Daho Ould Kablia. Soltani qui misait beaucoup sur «la popularité» de son ministre des Travaux publics, a très mal accusé le coup de ces résultats. Lui, comme tous les autres chefs de partis islamistes partaient vainqueurs de ces élections multipliant les déclarations triomphalistes. Ils avaient même prédit l’obtention de pas moins de cent sièges.
Mais, dans un pays comme l’Algérie qui à maintes reprises a prouvé combien il peut être imprévisible et combien il est aléatoire de faire des prévisions, la déception était grande. Un véritable coup de massue. Les islamistes n’en reviennent toujours pas. Difficile de croire à une défaite aussi cuisante dans un terrain qu’on croyait conquis. Et pourtant... Les 9 339 026 votants n’ont finalement offert que 50 sièges à Soltani et ses alliés. Une fois le premier choc passé, les chefs des partis islamistes sortant de leur mutisme, affirment que «c’est la volonté de tout un peuple qui a été spoliée en ce 10 mai 2012», évoquant une «fraude généralisée ».
Il est en effet difficile pour eux d’imaginer que de tels résultats puissent réellement refléter la volonté des Algériens. Mais peut-être que ces derniers veulent enfin des institutions et un Etat moderne. Peut-être qu’ils ne veulent plus que l’on utilise la religion pour faire de la politique politicienne sur leur dos. Peut-être...
Le MSP passe dans l’opposition
Réaction - Le Mouvement de la société pour la paix (MSP), pour exprimer son rejet des résultats des législatives, a pris la décision de ne pas prendre part au prochain gouvernement.
Cette décision a été prise à la suite d’une réunion du Madjliss Echoura, instance dirigeante du parti. Cette instance a donc décrété que le parti «n’aura pas de ministres dans la prochaine composition gouvernementale». Le porte-parole du MSP, Kamel Mida l’a bien précisé dans une déclaration faite à l’AFP.
«Le MSP a décidé de ne pas participer au prochain gouvernement pour dénoncer l'attitude du pouvoir», a-t-il affirmé. Pour sa part, le vice-président du parti, Abderezzak Mokri, dans un entretien accordé au journal électronique TSA, s’est montré catégorique en justifiant ce retrait. «Nous avons intégré les précédents gouvernements pour servir notre patrie. L'Algérie était en danger. Par la suite, nous avons pensé à aller vers de véritables réformes politiques.
La fraude électorale nous a donné le signal final : il n'y a pas de réformes. Et puis, il n'y a plus de causes qui apaisent notre conscience pour que nous soyons avec ce pouvoir», a-t-il dit. Et d’ajouter : «Il n'y a plus de crise. Le danger ce n'est plus l'instabilité ou le terrorisme, mais l'absence de démocratie. Ainsi, notre rôle, actuellement, est de rétablir les rapports de force et les équilibres entre la société et les autorités publiques pour l'intérêt de l’État et de la société.»
Pour ce faire, selon lui, le parti prendra part à la réorganisation de l'opposition en tentant de conclure des alliances avec tous les partis politiques pour avoir des positions communes au Parlement par rapport aux projets de loi du gouvernement, par exemple. Autrement dit, pour le MSP, «c’est moi ou rien».
Ce n’est ni plus ni moins que du chantage politique. D’ailleurs, selon une source proche des affaires du parti, Bouguerra Soltani a déjà adressé une lettre au président de la République lui signifiant «la fin de mission des ministres MSP» du gouvernement Ouyahia. Il s’agit entre autres, de Amar Ghoul, ministre des Travaux publics, Smaïl Mimoune, ministre du Tourisme, et Mustapha Benbada, ministre du Commerce. Seul l’avenir nous dira, cependant, si cette position du MSP est une réaction de dépit, suite aux résultats des élections, ou bien une manœuvre politicienne aux desseins encore inavoués.
Le Front des forces socialistes au pouvoir ?
C’est une éventualité envisageable, la proposition de s’allier avec le FFS émanant du plus grand gagnant des législatives,en l’occurrence, le FLN. Abdelaziz Belkhadem, le patron du FLN, a, en effet, affirmé au lendemain des législatives : «Si cela ne dépendait que de moi, je contracterais une alliance avec le FFS.» «L'Algérie a besoin d'un parti à tendance nationaliste», a-t-il souligné. Une «proposition» qui a tout de suite été prise au sérieux par le FFS. «Notre parti a pris très au sérieux cette proposition indirecte que nous allons discuter dans le fond et dans la forme», nous dit une source. Celle-ci s’est montrée «favorable» à des alliances afin «d’impulser une dynamique dans la Chambre basse du Parlement et de réhabiliter la pratique politique». Notons que cette alliance, si elle est concrétisée, permettra au FFS de trouver en cette même Assemblée une opportunité de concrétiser son projet de toujours, à savoir une Assemblée constituante.
Par ailleurs, le pouvoir, toujours en quête de crédibilité, en impliquant ce parti dans la composante gouvernementale, soignera son image vis-à-vis de ses partenaires étrangers d’autant que les socialistes sont de retour au pouvoir en France. Rappelons enfin que le parti d’Aït Ahmed n’en serait pas à sa première participation au gouvernement et encore moins à sa première alliance avec le FLN.
Des ministres FFS ont pris part au gouvernement de Mouloud Hamrouche en 1990, alors que des alliances locales entre les deux partis ont été déjà scellées à Béjaïa et à Tizi Ouzou.
Un jour viendra… ?
Intérêt - Dans la rue, les cafés, les trains et les magasins, les résultats des dernières législatives sont toujours au centre des discussions. La défaite des islamistes est également d’actualité.
Il nous a été vraiment difficile d’aborder cette question avec les islamistes. Tout comme leurs leaders, ces derniers ne se sont pas encore remis d’une réalité qu’eux seuls ne veulent pas admettre. Chagrin et incompréhension caractérisent leurs déclarations.
«Ce n’est vraiment pas normal. Pas du tout. Tous les gens que je connais ou presque habitant dans ma commune, ont voté pour l’Alliance verte. On a eu des échos également d’un peu partout à travers bon nombre de villes du pays attestant que les fidèles ont bel et bien été au rendez-vous ce jeudi-là, et ils ont voté pour les listes de cette formation.
Cela ne peut être qu’un vol pur et simple des voix», s’exclame Abderrezak, attablé en compagnie de quatre de ses amis autour d’un thé dans un café à la rue Belouizdad. Ce dernier, qui s’est avéré être un membre du bureau local d’Alger de l’Alliance verte a en outre affirmé n’avoir pas cessé «ne serait-ce qu’une seconde, de mobiliser les gens, depuis la formation de cette alliance, dans les quartiers ainsi qu’au niveau du CEM où il est enseignant». «On avait tout mis en œuvre pour que cette alliance puisse remporter au moins une centaine de sièges dans la nouvelle Assemblée.
Le numéro 1 de la liste pour la wilaya d’Alger, le ministre des Travaux publics, n’est plus à présenter. On est convaincu que le pouvoir a voulu rééditer un autre 1991, l’année durant laquelle le processus électoral a été interrompu pour empêcher le FIS (dissous) d’accéder au pouvoir».
En un clin d’œil, notre enseignant, adhérent au MSP, s’est converti en un éminent politologue allant jusqu’à «promettre» que «le printemps algérien viendra. Ce n’est q’une question de temps». «Idji n’har (Un jour viendra…)», conclut-il. Ses amis, qui se tenaient à l’écart pendant toute la discussion, se mettent de la partie. «Vous êtes vraiment incroyables, vous les journalistes.
Vous critiquez le pouvoir, ses ministres et son administration tout au long de l’année et vous venez unir vos forces quand il s’agit de s’en prendre aux islamistes. Alors sachez que nous avons peut-être perdu la bataille mais pas la guerre et l’avenir nous en dira plus». Et nous ne pouvons que nous poser la question à propos de cet avenir «Que sera-t-il pour les islamistes dans ce pays ?».
Avis d’étudiants
Vision - Si les islamistes s’estiment lésés par les résultats des récentes législatives, bon nombre de citoyens sont affirmatifs : on a connu l’islamisme et pas question de refaire un voyage dans le temps si ce n’est pour corriger certaines de nos erreurs.
Des étudiants rencontrés à l’Institut du journalisme d’Alger ont relevé l’importance «d’aller de l’avant» et surtout de ne pas écouter ces «voix hypocrites» qui n’ont aucun amour pour la patrie non sans «émettre des réserves» s’agissant aussi du triomphe du FLN. «Avec le FLN, c’est le retour à la pensée unique. Je ne suis vraiment pas de l’avis de ceux qui ne cessent de dire que ce parti n’a fait que cueillir les fruits d’un travail laborieux. Reconnaissons qu’il y a eu bien des magouilles lors de ces élections, mais tout de même je préfère la pensée unique que la pensée radicale des fanatiques islamistes. J’avoue que j’ai voté ce jeudi-là, juste pour faire barrage justement à l’émergence d’un gouvernement islamiste en Algérie», a estimé Malek. A ses côtés, se tenaient deux autres étudiants du même groupe que lui.
Au début Zinou n’a rien voulu entendre de nos questions, ne voulant plus aborder le sujet des élections. «Vous n’avez pas encore cessé d’en parler, les jeux sont faits non ?», s’est-il offusqué avant d’être rappelé à l’ordre par Malek. «Là, on parle des islamistes et leur échec aux dernières législatives. T’es libre de te prononcer ou non, sinon tu gardes tes commentaires pour toi», lui dit-il.
Zinou ne s’est pas fait prier plus longtemps pour prendre part au débat. «Je suis musulman, mais je ne pourrai en aucun cas, cautionner l’islamisme radical», a-t-il affirmé d’emblée. Selon lui, «il ne pourrait plus y avoir de place dans la société algérienne, pour un islamisme ayant mis le pays à feu et à sang pendant une dizaine d’années», estimant en outre qu’à travers tout ce que son père lui racontait, «l’Algérie a beaucoup souffert à cause d’une idéologie importée d’Afghanistan ou d’autres pays se vantant de défendre l’Islam mieux que tous les autres».
«Les islamistes ont payé pour leur excès de confiance», a-t-il conclu. Un peu plus loin, un confrère d’un quotidien francophone, sollicité pour un avis personnel, n’a pas hésité d’abord, à se féliciter de «la débâcle islamiste». Sans trop de détours, M. M. et en résumé, a indiqué que «les Algériens n’ont jamais eu besoin de leçons pour mener une quelconque révolution».
Le boycott concernera-t-il le salaire
Quatorze partis politiques notamment islamistes, ont pris la décision de boycotter le nouveau Parlement issu des législatives du 10 mai. Les dirigeants de ces 14 formations politiques qui, toutes tendances réunies, disposent de seulement 28 sièges sur les 462 que compte l’Assemblée populaire nationale (APN), ont convenu, à l’issue d’une réunion de près de quatre heures au siège du Front pour la justice et le développement (FJD) dirigé par Abdallah Djaballah, de créer «un Front pour la sauvegarde de la démocratie». Autre décision : Rejeter en bloc les résultats du scrutin. Et, de ce fait, ne pas prendre part aux plénières de la nouvelle APN qualifiée d’«illégitime» et ne pas reconnaître le gouvernement issu de cette assemblée. Il s’agit du (FJD), du Front de l’Algérie nouvelle (FAN), du Front de l’entente nationale (FEN) et du Parti de la liberté et de la justice (PLJ). Il est également question des partis, El-Fedjr el-Djadid, le Front national démocratique, le Front national algérien (FNA), le Mouvement El-Infitah, le Front du changement, le Parti de la justice et du manifeste, le Mouvement de la jeunesse démocratique (MJD), le Mouvement national pour la nature et le développement, le Mouvement des nationalistes libres et enfin le Front de la bonne gouvernance.
Reste à savoir si le boycott inclura aussi le fait de ne pas percevoir son salaire de député, l’abandon de tous les avantages qu’offre la députation ou juste ne pas se présenter aux travaux de l’APN. L’avenir nous en dira assurément un peu plus.
Source Infosoir Farid Houali
Le Pèlerin