À la recherche d'une nouvelle cohérence
Le «recentrage» économique entamé en 2009 par des mesures ponctuelles – Crédoc, règle des 49/51%, fiscalisation des dividendes des sociétés étrangères transférables (c.-à-d. non réinvestis), impôts sur le revenu touchant les ouvriers étrangers exerçant en Algérie – peine, trois ans après sa mise en œuvre, à faire valoir des résultats tangibles sur le plan du rythme des investissements hors hydrocarbures créateurs d'emplois et sur le plan de la diversification de l'économie nationale.
Déjà, une grande partie des entreprises existantes ont souffert d'une de quelques mesures du dispositif gouvernemental, particulièrement en matière d'approvisionnement en matières premières ou en semi-produits. Allusion ici est faite au crédit documentaire, présenté un certain moment comme unique mode de payement des importations. La lourdeur de ce dispositif a pénalisé non seulement les entreprises dans la gestion de leurs outputs et dans la maîtrise des coûts de production, mais également le consommateur au niveau de qui ce dérèglement se traduit par une forme insidieuse mais réelle d'inflation. En tout cas, au vu de graves dysfonctionnements ayant touché particulièrement certains secteurs, à l'image de la santé au travers de la politique de fourniture et de distribution de médicaments, le gouvernement a mis un bémol au dispositif du Crédoc en en dispensant certains secteurs d'importation.
Sur un autre plan, les conditions fixées au partenariat étranger pour se déployer dans notre pays ont été quelque peu aussi contraignantes, d'autant plus qu'elles se greffent à un climat des affaires jugé quasi répulsif par des organismes internationaux (bureaucratie, problème du foncier, statisme des établissements de financement,…). Un signe qui ne trompe pas : la semaine passé, au moment même où le facilitateur français, Jean-Pierre Raffarin, était en visite en Algérie, la énième tendant à une meilleure exploration des possibilités de coopération économique entre les deux pays – avec, en priorité, la mise sur rail du projet de Renault de construction automobile –, le Maroc inaugura l'usine Renault de montage auto avec un rythme de production de 170 000 véhicules par an dès le lancement. Ce rythme est appelé à être porté à plus de
300 000 véhicules/an. C'est indéniablement là une contre-performance de l'approche algérienne de l'investissement étranger. Face à ce climat peu propice, ce dernier risque de rester et de se prolonger dans son activité favorite, la transaction commerciale. En effet, une grande partie des secteurs de production européens regardent l'Algérie comme un exceptionnel bassin de consommation avec ses 37 millions d'habitants et sa proximité avec le continent européen.
S'il y a une occasion en or que l'Algérie est pourtant censée mettre à profit en ces temps de vaches maigres des économies européennes (crise de l'euro), c'est bien cette tendance effrénée à la délocalisation des entreprises européennes vers des cieux plus cléments en matière de coût de la main-d'œuvre. Le mouvement a commencé il y a quelques années ; il se poursuit plus intensément vers la Turquie, le Brésil, l'Inde, l'Afrique,…etc., à tel point qu'il a fini, par exemple en France, par constituer un sujet crucial dans la campagne électorale présidentielle créant une fracture béante entre les détracteurs des délocalisations et ceux dont la politique économique est supposée être à l'origine de ce phénomène.
Les privatisations : une expérience boiteuse
Outre ce «flou artistique» qui règne dans le climat des affaires en Algérie, le dossier des entreprises publiques n'a pas fini de livrer ses incohérences entre privatisation, assainissement financier et mise à niveau. Après que le gouvernement eut décidé, à partir de l'année passée,de consacrer quelque 16 milliards de dollars pour l'assainissement financier de certaines entités publiques, l'on a apprend, à la fin du mois de janvier 2011, que l'Inspection générale des finances (IGF) vient de remettre un rapport à la chefferie du gouvernement portant sur le processus de privatisation des entreprises publiques tel qu'il a été initié depuis le milieu des années 1990 à ce jour.
La mission confiée à cet organe de contrôle relevant du ministère des Finances a été diligentée au lendemain de l'adoption de la loi de finances complémentaire de l'année 2010. Le Conseil des ministres se prononça alors sur le droit de l'Etat de récupérer les actifs publics cédés dans le cadre des opérations de privatisation, dans le cas où l'acquéreur n'aurait pas respecté ses engagements, particulièrement les payements dus.
Le travail d'investigation de l'IGF s'est étalé sur trois mois et aurait, selon certaines indiscrétions parvenues à la presse, abouti à des constats de lacunes et d'irrégularité de certaines procédures. Cette évaluation du processus de privatisation aurait permis de récupérer des actifs estimés à pas moins de 400 milliards de centimes, outre des assiettes foncières et des ateliers dont les nouveaux propriétaires n'ont pas respecté les cahiers des charges et les conditions de cession. Parmi ces dernières, il est généralement exigé des nouveaux acquéreurs des entités publiques l'extension de l'investissement dans un délai de cinq ans ; rarement cette clause a été mise en pratique.Par ailleurs, le rapport de l'Inspection générale des finances a révélé le détournement de leur vocation de quelques unités privatisées et l'abandon de certaines autres unités. De même, certains acquéreurs n'ont pas pu payer dans les délais réglementaires le montant de la cession. L'Etat a fait exercer le droit de préemption en récupérant les unités en question.
Ainsi, ces constants, portés à la connaissance du gouvernement, ont permis de récupérer les actifs des entreprises publiques cédées à des nationaux ou à des étrangers dans le cadre de la privatisation.
L'on a conclu à une certaine forme de «précipitation» qui aurait entaché l'opération de privatisation ; ce qui a conduit les nouveaux propriétaires à privilégier le gain immédiat et facile : exploitation de l'assiette à d'autres fins autres que celles ayant fondé l'unité de production, non extension des investissements, absence de création de nouveaux emplois,…
L'évaluation de l'IGF a touché l'ensemble des unités privatisées partiellement ou totalement jusqu'à 2010. Depuis 2003, il a été procédé à la cession de 460 entités économiques publiques pour un montant de 160 milliards de dinars. 45 d'entre elles ont été carrément fermées après avoir été privatisées.
Une politique en dents de scie
Ainsi, la conduite de la politique des entreprises publiques ne cesse d'évoluer en dents de scie. Après avoir exploré et expérimenté l'option de privatisation, et au bout de quelques années de tergiversations, on revient même à l'idée de créer de nouvelles entreprises publiques. L'accompagnement des actions de l'Etat au sein de l'entreprise de téléphonie mobile Djezzy devrait, selon certains officiels, s'opérer ainsi probablement par une entreprise publique qui reste à créer.
Du temps où il était ministre de l'Industrie et de la promotion des investissements, Abdelhamid Temmar a fait état de la création de 13 nouvelles entités publiques.
Depuis les Assises nationales sur la stratégie industrielle tenues en 2007, la polémique n'a pas vraiment cessé entre les différentes parties intervenantes supposées être des partenaires dont les efforts sont censés concourir au même objectif. En principe seulement, car Hamiani, président du Forum des chefs d'entreprise, en regrettant la lenteur des réformes et en demandant plus de «privilèges» pour les entreprises, se trouve parfaitement dans son rôle de responsable d'une organisation patronale. Cependant, on ne percera aucun secret en disant que la transition économique semble trop longue et les réformes censées la conduire marquent encore des hésitations.
Une chose est sûre : le destin des entreprises publiques, s'il n'a plus pour nom la privatisation, ne saurait, en revanche, se satisfaire des mesures de saupoudrage de plans de charges décidés généralement par l'administration dans une énième opération de distribution de rente. Après que l'ancien ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Yazid Zerhouni, eut présenté un alléchant bon de commande à la SNVI de Rouiba pour l'acquisition de bus au profit des communes, rien ne pourra garantir éternellement des débouchés aux produits de cette entreprise publique si une stratégie viable à long terme ne vient pas se substituer à un volontarisme de courte vue, d'autant plus que l'insoutenable compétition imposée par les produits d'importation par la grâce de l'accord d'association avec l'Union européenne ne fait que croître et se compliquer davantage. C'est un challenge que ne saurait relever aucun traitement de faveur dont la durée de vie est nécessairement courte.
Source Les Débats Saâd Taferka
Le Pèlerin