Les causes d’une criminalité inquiétante
Si les citoyens estiment que l’insécurité gagne du terrain au point qu’ils ne se sentent en sécurité ni chez eux, ni dans leurs quartiers, ni dans la rue, pour la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) la criminalité en milieu urbain est «stable» et «maîtrisée». Faut-il donc se fier à cette déclaration et relativiser le niveau d’insécurité ? Et peut-on vraiment faire confiance au monde extérieur et ignorer les différents crimes rapportés quotidiennement par la presse nationale ? Des questions qui surgissent et qui méritent bien plus qu’une simple déclaration pour convaincre les populations et notamment les victimes. Il faut dire que le spectre des représailles chez ces dernières est si fort qu’elles n’osent même pas porter plainte.
Un phénomène en hausse
Diagnostic - L’absence de prise en charge psychologique des victimes de la tragédie nationale s’est traduite par des comportements violents qui risquent même de compromettre les générations futures.
Chiffres à l’appui, les services de police ont annoncé des résultats plus que satisfaisants en matière de restauration de l’autorité de l’Etat. Cependant, force est de constater que les chiffres en question démontrent, on ne peut mieux, que le phénomène de la criminalité est en hausse. Durant le premier semestre 2012, la DGSN a enregistré 35 512 affaires liées aux atteintes aux personnes dont 24 590 ont été traitées. Toujours à la même période, on avance le chiffre de 26 580 affaires concernant les atteintes aux biens ainsi que 91 homicides, dont 79 traitées, et 13 293 affaires relatives aux coups et blessures volontaires. Ainsi, l’ensemble des affaires transcrites sur le registre de services de la police en l’espace de six mois est de 75 476 affaires, soit 8 476 affaires de plus que ce qu’a connu l’Algérie en six mois en 2011.
Pour le démontrer, nous revenons aux chiffres publiés par la Direction de la police judiciaire l’année dernière. Si on divise les 134 000 affaires enregistrées de août à juillet 2011, on se retrouve avec 67 000 affaires en six mois. Nous sommes donc à un taux de criminalité beaucoup moins intense que ce qu’ont connu les six premiers mois de l’année en cours.
La criminalité est aujourd’hui une réalité. Elle s’est installée au fil des ans pour se banaliser au point de ne plus choquer personne. Les agressions à l’arme blanche qui peut être, soit une barre de fer, soit un couteau, soit une épée, ont pris de l’ampleur. Le commissaire de police, Bouda Abdelhamid, a, dans une rencontre-débat consacrée à ce sujet, précisé qu’en Algérie, «il n’y a pas de crime organisé, mais une criminalité ordinaire liée aux atteintes aux personnes et aux biens, au vol sous toutes ses formes, aux agressions, au trafic de drogue et d’argent».
Il a indiqué également que des «bandes rivales» ont fait leur apparition dernièrement dans certains milieux urbains, soulignant, à titre indicatif, que les services de police ont dû intervenir dans 38 cas de ce genre depuis le début de l’année.
Les raisons ayant contribué à l’essor de ce phénomène sont diverses. Certains évoquent la démission de la famille et la défaillance de l’école, d’autres préfèrent l’imputer à la décennie noire.
Ces derniers ont un argument solide : l’absence de prise en charge psychologique des victimes de la tragédie nationale qui s’est traduite par des comportements violents qui risquent de compromettre même les générations futures. Car le sentiment d’insécurité relève «des valeurs transmises à l’enfant par notre société en matière d’affirmation de soi», selon Mme Houria Hacen Djabalah professeur à l’université d’Alger chargée de la psycho pathologie de l’enfant et de l’adolescent. «La violence a un rôle de restauration narcissique», explique notre spécialiste pour qui, perpétuer «une vie de violence signifie décrier le pouvoir».
«Seul moyen d’expression»
Pour tenter de comprendre le caractère et l’attitude de tous ces jeunes qui ont choisi volontairement ou involontairement d’être des criminels, nous sommes revenus à l’analyse du Professeur Kacha. Le chef de service de l’hôpital psychiatrique de Chéraga ne cache pas son inquiétude face à cette folie destructive dont font preuve certains jeunes.
Pour lui, la «situation est grave» notamment pour les jeunes ayant vécu la décennie noire. Pour ces derniers, «seule la violence permet d’obtenir quelque chose», affirme le Pr Farid Kacha. La violence «est devenue presque une légitimité», voire «le seul moyen d’expression», ajoute-t-il. Le saccage et le pillage dont font l’objet les institutions de l’État et tous les établissements publics à chaque manifestation résument, de l’avis de notre spécialité, la personnalité et le caractère violent de ces jeunes.
Ils sont «habitués à exprimer leurs revendications par la violence», a-t-il dit. «Cette frange de la société a besoin d’être écoutée», insiste-t-il en souhaitant voir les pouvoirs publics «prévenir les problèmes au lieu de les laisser arriver». Il recommande dans ce sens la mise en place d’une administration à l’écoute des citoyens. Devant l’incapacité de l’Ecole algérienne à l’heure actuelle d’accomplir son rôle éducatif qui lui est dévolu, il préconise l’installation, «des représentations qui écoutent les doléances et les préoccupations de cette frange de la population pour les transmettre aux autorités concernées». Cela devrait permettre à nos jeunes d’apprendre à communiquer et à exprimer leurs préoccupations et de s’éloigner de la violence et surtout le passage à des actes irrémédiables.
Une frange vulnérable
Parmi les causes ayant concouru à l’amplification de la criminalité urbaine nous pouvons citer le chômage et l’exode rural. Sans emploi ni assistance, nos jeunes sombrent inévitablement dans le désespoir qui les pousse vers la drogue et la criminalité.
Ce sont là les principaux facteurs de la délinquance et de la violence chez les jeunes, explique Me Ben Brahem. «Les jeunes fuient leurs régions d'origine vers les grandes villes pour gagner leur vie.
Ils ont parfois recours au vol et s'adonnent à des pratiques illicites», précise l’avocate tout en évoquant l'éclatement de la structure familiale qui fait rage ces dernières années. Ce problème est essentiellement mis en cause par notre avocate qui pour être plus explicite dira : «Ces enfants sans ressources ni prise en charge et n'ayant plus de repères, sont exploités par des réseaux de banditisme.» Cette catégorie très vulnérable est «facilement enrôlée dans le piège de la drogue car incapables d’affronter la vie», selon elle. «Sous l'effet de psychotropes, les délinquants commettent souvent l'irréparable et sont envoyés en prison, ce qui n'arrange en rien les choses», tient-elle à rappeler avant de tirer la sonnette d’alarme sur les méfaits du chômage et de la l’oisiveté.
«La plupart des accusés que j’ai dû défendre, sont des chômeurs. Le chômage crée l’oisiveté qui est à l’origine de tous les fléaux», conclut-elle.
Quelques affaires récentes
Chiffres - 16 affaires d'homicide volontaire ont été recensées par les services de police de 12 wilayas, à savoir 10 affaires à l'est du pays, 3 au centre, 2 à l'ouest et 1 au sud.
Vingt-neuf affaires liées à la criminalité ont été enregistrées à travers le territoire national au mois d'octobre dernier où 16 présumés coupables ont été arrêtés et présentés à la justice. A cela viennent s’ajouter 13 autres affaires liées aux coups et blessures ayant entraîné la mort dont 12 homicides volontaires ont été traités en procédant à l'arrestation des auteurs.
Il reste l'auteur du crime commis dans la région du sud du pays où l’enquête est en cours pour connaître le coupable. Les services de la Sûreté de wilaya d'Oran avaient traité, en octobre dernier, 22 affaires criminelles et délits ayant permis l’arrestation et la présentation de 44 personnes à la justice qui a placé 34 prévenus sous mandat de dépôt.
Les mêmes services ont fait part, dans leur bilan mensuel, du démantèlement à Oran de 14 associations de malfaiteurs spécialisées dans le vol et l'agression à main armée.
Le service de la Police judiciaire de la wilaya d’Aïn Témouchent a relevé une légère hausse de la criminalité enregistrée, durant le mois d’octobre écoulé. Il annonce à ce titre le traitement de 98 affaires au cours de cette période, contre 95 durant le mois de septembre dernier, mettant en cause 110 individus, dont 14 mineurs. Ces arrestations sont généralement liées aux différentes formes de vol, à la destruction de biens publics ainsi que les coups et blessures volontaires.
A Tébessa, la vigilance des éléments de la sûreté de la wilaya a déjoué au début du mois de novembre écoulé, une tentative d’enlèvement ciblant deux étudiantes étrangères à l’université de Tébessa. Les victimes, originaires toutes les deux d’un pays d’Afrique subsaharienne, ont heureusement trouvé refuge à l’Auberge de jeunes de la ville.
D’après leurs témoignages, deux individus ont tenté de les enlever en les faisant monter de force dans leur voiture. En voyant leur tentative d’enlèvement échouer, les mis en cause s’en sont pris aux gérants de l’Auberge qu’ils ont agressés physiquement, leur causant des blessures, avant de briser les vitres de la structure.
Les services de sécurité de Bordj Emir Khaled à Aïn Defla ont, de leur côté, démantelé une dangereuse bande qui utilisait des véhicules de différentes marques lors de leurs opérations de vols.
Ces arrestations interviennent à la suite d’une plainte déposée par l’une des victimes qui s’est vu subtiliser, sous la menace, une somme de 30 000 DA ainsi que son téléphone portable alors qu’elle venait de garer sa voiture sur la route menant de Khemis-Miliana vers Bordj Emir Khaled.
Selon le bilan de la DGSN, la région du centre vient en tête concernant les affaires liées aux coups et blessures causant la mort avec 6 affaires, suivie de l'est du pays avec 4 affaires, le sud avec 2 affaires et l'ouest avec une seule affaire.
La prévention avant la répression
Stratégie - Les chiffres de ce premier semestre «ne sont pas alarmants», insiste la DGSN qui appelle à la vigilance des citoyens et promet de faire passer la prévention avant la répression.
Dans cette perspective, les services de sécurité ont ouvert des cellules de crise criminelle au niveau des sûretés de wilaya à l’échelle nationale et mis en place des cellules d’écoute et d’action préventive au niveau des sûretés des 13 circonscriptions administratives de la wilaya d’Alger. Dans sa lutte contre la criminalité urbaine, la DGSN appelle à l’implication de l’ensemble des partenaires et de la société civile dans ses actions préventives.
Pour juguler ce fléau, le commissaire de police Kadaoui Khaled plaide pour une attention particulière à l’école qui «doit constituer une cible privilégiée pour les cellules d’écoute et d’action préventive de la Police nationale».
De nouveaux mécanismes ont, à cet effet, été mis en place par la Direction générale de la Sûreté nationale dans le cadre du développement de son système de communication. Celui-ci devrait de plus en plus s’adapter à la société et les mutations qu’elle subit à la faveur de la mondialisation et de la révolution informatique, selon la DGSN. Celle-ci tient à rappeler les 203 manifestations organisées par ses services sous forme de portes ouvertes et de journées d'études à travers toutes les wilayas du pays. Mais aussi les 65 visites pédagogiques aux différents lycées et écoles dans le cadre de la sensibilisation aux dangers des fléaux sociaux.
Cette politique de communication a pour objectif de consacrer la culture sécuritaire et mettre en relief l’importance de la prévention contre ce genre de fléau.
Mokhtar Felioune, directeur général de l’administration pénitentiaire relevant du ministère de la Justice, a dans ce sillage, recommandé «la mise en place d’un organisme de prévention contre la criminalité, au sein duquel seront représentés l’ensemble des secteurs concernés et les composantes de la société civile».
M. Felioune a insisté à cet effet sur le rôle de l’éducation et la sensibilisation pour réduire la criminalité et soulager par conséquent nos prisons qui sont au bord de l’explosion.
Pour appuyer ce volet préventif, la DGSN s’est, par ailleurs, dotée de nouveaux moyens de répression. Un matériel technologique de pointe a été fourni récemment aux éléments de la Sûreté nationale dans le cadre de la modernisation de la police.
Ce qui a permis à ce corps de procéder à «d'importantes réalisations en termes d'investigations et de lutte contre la criminalité», assure la cellule de communication de la DGSN. Parmi ces moyens ultrasophistiqués on citera des détecteurs d'explosifs et de métaux et de mini-ordinateurs pour la détection des véhicules et des personnes recherchés
Source Infosoir Assia Boucetta
Le Pèlerin