Elles ont été annoncées dans un contexte social délicat
Dix mois se sont écoulés entre le discours du président de la République où il annonçait, en avril 2011, des réformes politiques, et son discours de jeudi dernier où il fixe la date des prochaines élections législatives.
Cet intervalle de temps a-t-il redonné de l'assurance au pouvoir politique de façon à envisager des élections transparentes, crédibles et annonciatrices d'un avenir meilleur pour le peuple algérien ? A-t-on acquis la conviction que l'Algérie pourrait constituer une exception dans le vent de révolte et de folie qui souffle sur le monde arabe ? Réellement, les questions de cette dimension ne peuvent guère avoir trouvé de réponse expéditive qui aurait puisé dans les efforts du pouvoir politique d'introduire quelques réformes – inhérentes aux partis, aux associations, au code de l'information,…– entérinées par le Parlement. L'un des griefs que certaines parties ont formulé à l'endroit de ces réformes est justement d'être débattues et entérinées par une Assemblée populaire nationale jugée en perte de crédit ; un crédit qu'elle a eu de la peine à faire valoir depuis le début de la législature au vu de l'abstention – seuls 35% du corps électoral s'étaient exprimés – qui a grevé le scrutin du 17 mai 2007.
Pendant que les textes de réformes passaient du cabinet de consultations de Bensalah à l'hémicycle de l'APN, puis au Conseil de la nation, le front social, qui a ouvert les «hostilités» avec les pouvoirs publics dès janvier 2011, n'a pas ravalé le seuil de ses revendications. Au contraire, c'est à un véritable effet «boule de neige» auquel on a assisté au moment où les débats à l'APN atteignirent leur vitesse de croisière. Avec l'épaisseur de neige qui recouvre depuis une dizaine de jours la plupart des reliefs du nord de l'Algérie et qui a paralysé la vie dans des centaines de villages (absence d'électricité, de gaz butane, de nourriture, de médicaments, de médecins,…), des citoyens s'interrogent sur l'opportunité même d'annoncer en ce moment la date des élections législatives. Une partie de l'opposition crie au «mépris» et à l'«indécence». Même si de telles accusations ont leur part d'exagération et d'arrière-pensées politiques, le sentiment des populations d'être abandonnées à leur sort- en dehors de quelques axes routiers dégagés par les soldats de l'ANP – est une irréfragable et amère réalité.
Pendant ces dix derniers mois, l'on a donc l'impression d'assister à un dialogue de sourds entre un pouvoir politique tout occupé par l'aboutissement des textes de réformes, et une population qui a occupé la rue dans une surenchère revendicative que n'a pu réellement récupérer aucun parti politique à son profit. Si les pouvoirs publics peuvent être «tranquillisés» par cette non-récupération, ils ne peuvent, en revanche, tirer aucune gloriole d'une rue grondante et menaçante sur les douze mois de l'année.
Les partis et la presse ont beaucoup spéculé sur le niveau de confiance que l'on peut accorder au pouvoir politique dans une entreprise délicate – promesse d'élections libres et transparentes – consistant, au fond, si le jeu est réellement respecté, à ce que le pouvoir se remette lui-même en cause ! Car, les pronostics les moins englués dans des chapelles politiques, ne donnent pas – dans l'hypothèse d'élections libres – les partis majoritaires actuels comme gagnants des élections.
Un sentiment général et diffus gagne une large partie de la population depuis quelques mois : le besoin d'un changement pacifique et qui consacrerait la voie pacifique de dialogue. Les seules limites, sans doute, qu'une telle ambition se donne sont celles liées à l'exclusion de l'extrémisme religieux et à la non reconduction aux affaires des partis ou du personnel responsables de l'échec.
Vers le règne du réalisme ?
Dans ce contexte, la réelle volonté de réformer le système politique et de travailler pour instaurer la bonne gouvernance importent visiblement plus que le seuil idéal que l'on peut fixer à ces réformes dans une vision «œcuménique» ou trop idéaliste qui ne tiendrait pas compte des complexités de la situation algérienne en matière de retard politique, culturel et économique.
Le vocable de sous-développement, traditionnellement appliqué à un certain nombre de pays du tiers-monde, exprime le plus souvent un retard dans les structures économiques et un faible niveau de vie des populations. Cependant, ce concept ne peut être limité à cette sphère. Ses effets sont aussi et surtout à constater dans la situation socioculturelle du pays et dans les pratiques politiques de ses gouvernants, de son élite et de ses élus. Ce qui complique et aggrave la position de l'Algérie par rapport à celle des autres pays sous-développés est incontestablement la nature des enjeux autour desquels gravitent une grande partie des acteurs politiques. La puissance de la rente pétrolière a conduit à une sorte de paralysie économique et de paresse intellectuelle.Aujourd'hui, outre les prochaines élections législatives et la révision constitutionnelle – dont la mission sera confiée à la prochaine Assemblée – l'attention de l'opinion publique et des médias est retenue par les possibilités désormais accordées aux sociétés de droit privé d'investir dans l'audiovisuel. Cependant, les choses tardent à s'éclaircir sur ce point ; et au moment où l'on attendait que quelques-uns des noms qui étaient murmurés un certain moment dans la presse concrétisent leurs projets de chaînes TV, c'est à une nouvelle télévision subversive que les Algériens ont eu affaire au cours de ces derniers mois. En effet, la chaîne El Magharabia qui diffuse à partir de Londres et qui s'occupe de l'actualité maghrébine, spécialement algérienne, donne le ton de ce à quoi on peut s'attendre si la «mécanique» administrative algérienne tarde à libérer réellement le champ audiovisuel. En tout cas, l'engouement pour l'audiovisuel privé est explicable par une légitime soif des Algériens de se reconnaître dans un organe culturel et d'information qui traite de leur situation, de leurs problèmes et de leurs aspirations sans surenchère ni esprit subversif. En cherchant à avoir chez elles un autre son de cloche de radio et de télévision, les populations ne comptent pas exonérer les médias publics de la noble mission qu'ils n'ont pas pu ou su assumer jusqu'à ce jour. Ce sont d'abord des organes payés par l'argent du contribuable et ils sont censés être touchés, eux aussi, par le vent de réformes qui soufflent sur le pays et sur l'aire géoculturelle arabe.
D'ailleurs, un des signes de la sincérité supposée des réformes politiques proposées demeurera cette ouverture tant attendue des médias publics lourds sur la société. Tant qu'ils continuent de fonctionner en tant que simple porte-voix du pouvoir politique, il est à craindre que le projet de réformes politiques soit vu comme entaché d'un vice rédhibitoire qui en ferait une énième manœuvre de diversion.
Indiscutablement, et nonobstant les limites et le sort complexe qui ont obéré les réformes politiques initiées au lendemain des événements d'octobre 1988, la culture politique en Algérie a pu bénéficier d'une certaine «sédimentation» culturelle. Ce sont les épreuves de feu et de sang de la décennie rouge qui ont introduit un brin de lucidité et de réalisme chez les populations, ce qui rend aujourd'hui la tâche des partis politique – s'acquérir les suffrages des citoyens – autrement plus difficile ; et c'est tant mieux. L'effort à faire dans ce sens – persuader, convaincre, faire adhérer – par les formations politiques, anciennes ou nouvellement agréées, équivaut à autant de recherche de la voie la moins hypocrite et la plus responsable d'accéder aux postes de responsabilité.
Comme il a été constaté dans les pays arabes qui ont fait leur «révolution» en 2011, la prise de pouvoir par les islamistes ne peut pas équivaloir tout de suite à une catastrophe.
Les partis ayant accédé aux postes de responsabilité l'ont été dans des circonstances d'une exceptionnelle ferveur révolutionnaire qui met à bas les méthodes, les signes et les hommes qui ont régné par l'absolutisme. Les nouveaux promus, au risque de décevoir et de sortir par la petite porte, sont contraints à des efforts colossaux pour asseoir la bonne gouvernance, s'adapter aux réalités du terrain, émousser un peu l'idéalisme qui les a animés des années durant.
A défaut d'un tel sens des réalités, c'est l'islamisme modéré – après l'aile radicale – qui en prendra un coup et qui sera congédié des tablettes de l'action politique.
Source Les Débats Saâd Taferka
Le Pèlerin