Que se passe-t-il en Algérie ?
La minorité polico-médiatico-financière, et ses quelques ramifications bureaucratiques, l’élite en somme, veut avancer vite dans la voie du progrès et de la modernité dont elle se pense (par effet d’occidentalisation) la dépositaire et le guide. Comme partout dans nos contrées sous-développées. Le pouvoir en place constitue un frein à cette aspiration ; il est accusé d’immobilisme, voire d’archaïsme. On le voudrait plus performant, compétent, imaginatif. Il y a tant de choses, en effet, à faire (en urgence) qu’il ne fait pas ! Pourquoi ? Parce que le pouvoir, par delà les sensibilités éventuelles des personnes qui le composent, et par delà ses discours, ne s’inscrit pas dans une telle dynamique de progrès et d’urgence. Au contraire, s’il entend bien faire avancer les choses, c’est dans la prudence, la «responsabilité» que lui impose son instinct de survie politique et les multiples contraintes de ce qu’il appelle la gestion du réel, et qui n’est souvent que la somme des astuces, des compromis et des réformes destinés à le perpétuer. Tout cela fait sa médiocrité. Face à l’élite, d’un côté, il doit faire face à la «majorité» de l’autre. Et que veut la majorité ? Elle est conservatrice. Elle entend que les choses bougent sans bouger ! Elle aspire au progrès elle aussi : le confort, le bien-être, un logement, un travail, une justice… mais dans le cadre strict de ce qu’elle appelle ses «valeurs», religieux ou sociaux, ses repères habituels, ses traditions. Elle n’entend pas l’argument qui lui dit que ce sont ces «valeurs» qui font problème. La majorité ne veut pas de révolution ; elle veut la stabilité à tout prix. La stagnation, autrement dit. Ou le changement dans la continuité... Les perspectives d’un changement important ou brutal suscite son épouvante, sa colère, sa réaction : face à une révolution, elle entame une contre-révolution. Qu’il s’agisse d’octobre 1988, en Algérie, ou du «printemps arabe» en Tunisie et en Egypte, la majorité (représentée par les islamistes et autres assimilés) a puni les minorités occidentalisées en votant contre elles dans des élections libres. Des élections arrachées aux pouvoirs par les minorités et offertes sur un plateau d’argent à une majorité qui en accepte le principe juste pour les sanctionner ! Comme on l’a vu avec le FIS et aujourd’hui avec les Frères musulmans. Prendre le pouvoir par la démocratie pour l’interdire ensuite. Si l’élite avance d’un pas, le peuple s’arc-boute sur lui-même et recule de deux. Qui a dit que les peuples aspirent à exaucer les vœux des minorités ? Et qui a dit que celles-ci pensent au bonheur de leur peuple ? Le secret de tant de dictateurs n’est pas ailleurs que dans ce paradoxe dont ils usent pour se maintenir. Le décor est planté. Que se passe-t-il ensuite ? La crise de défiance entre tous s’installe et, sans retour rapide en arrière, au statu quo ante, la guerre commence – ce fut le cas en Algérie. Les minorités, accusées d’occidentalisation (trahison, externalisation), sont vaincues et doivent s’exiler ou se taire. La majorité triomphe, dans le pire des cas en faisant triompher son radicalisme, dans le meilleur, en restaurant le pouvoir autoritariste. Une autre période de stagnation arrive. On en a encore pour longtemps (le temps que la régression redevienne féconde, comme dirait quelqu’un), produise de nouvelles élites plus ou moins occidentalisées, qui voudront mener le pays à leur rythme vers son bonheur, et qui finiront par se heurter tout à la fois aux pouvoirs en place et à leurs propres peuples conservateurs. C’est un cycle quasi infini. Pour qu’un peuple change et devienne lui-même le moteur du progrès, il faut que le pays s’industrialise. Il n’existe pas d’autres voies que l’industrialisation – et nous l’avons ratée dans les années soixante- dix. Reste la rente pétrolière, les énormes convoitises dont elle fait l’objet, et les illusions de développement qu’elle peut nous procurer.
Source Le Jour d’Algérie Brahim Djalil
Le Pèlerin