Algérie - La question du jour - Participants contre abstentionnistes
On pouvait s’attendre, comme dans toute campagne électorale, et en particulier quand celle-ci est encore à ses débuts (car il s’agit alors pour les protagonistes d’annoncer la couleur), à de la polémique, peut-être même à des accusations, plus ou moins fondées ou tout à fait gratuites, en tout cas à des clivages, et l’on a eu droit jusqu’à présent à un même discours appelant les électeurs à ne pas céder aux sirènes de l’abstention. Même Louisa Hanoune, qui avait donné le sentiment, il y a de cela des semaines, bien avant donc que la campagne ne commence, d’être d’attaque, de chercher la confrontation, notamment avec les islamistes, qu’elle a accusés de se faire financer par les Américains, ou par le Qatar, ne semble plus sur les mêmes dispositions belliqueuses maintenant qu’est abordée la dernière ligne droite. Espérons que ce ne soit chez elle qu’un court passage à vide, et qu’elle se reprendra bientôt.
Pour un peu on croirait que la classe politique s’est recomposée pour donner lieu à deux grands blocs, dont la ligne de démarcation serait justement l’attitude vis-à-vis de l’abstention. La réalité est cependant très différente. Il n’y a après tout que deux ou trois partis, dont le RCD et le MDS, qui ne sont pas des mastodontes, à moins que ce ne soit là tout le camp du boycott (auquel il faut peut-être ajouter la poignée de dissidents très médiatisés FFS ou apparentés) pour chercher à dissuader les électeurs de se rendre aux urnes le 10 mai. Il n’y a vraiment pas là de quoi faire peur à tous les autres partis, anciens et nouveaux. Le seul fait que le FFS ait opté pour la participation est de nature à compenser largement les électeurs qui s’abstiendront à l’appel du RCD. Or près d’une dizaine de partis, il est vrai tous nouveaux (mais ils ne le sont pour la plupart que sur le papier), sont cette fois-ci sur la même ligne de départ que les anciens.
Cela pour dire qu’à faire de l’abstention – qui pour y appeler, qui pour la conjurer – le thème central de la campagne, les tenants de la participation courent en ce qui les concerne le risque d’obtenir l’effet contraire de celui qu’ils escomptent. De jouer contre eux-mêmes autrement dit, pour accroître les chances de succès, sinon les scores, des partisans du boycott. On voit d’ici le RCD, pour l’heure en embuscade, débouler sur scène pour s’attribuer le taux d’abstention s’il est élevé, en particulier s’il est supérieur à ce qu’il était lors des législatives précédentes. Il remplirait l’air de ses cris de triomphe : voici la proportion des Algériens qui ont écouté mon appel au boycott, dirait-il, et qui auraient à coup sûr voté pour moi si j’avais voulu être de la partie. En vérité, il ne s’arrêterait pas là. Il ajouterait sûrement : ce taux d’abstention important, c’est en réalité la véritable mesure de mon influence dans la société, mon score authentique, celui qui aurait toujours été le mien sans la fraude «massive et généralisée».
Bien entendu, si les partis prenant part à la compétition concentrent leurs tirs sur le spectre de l’abstention, ce n’est pas par crainte que les partisans du boycott portent celle-ci à leur crédit dans le cas où elle serait plus importante que d’habitude, ou même si elle s’avère de même niveau qu’antérieurement. Mais parce qu’ils espèrent conjurer par une forte participation toute éventualité d’un «Printemps» sur le mode de ceux qui se sont emparés de quelques pays de la région. Une forte participation est d’autant plus souhaitable qu’elle vaudra le cas échéant refus catégorique de la part de la majorité des Algériens de voir leur pays sombrer dans la même effervescence douteuse qu’ils voient ailleurs. A contrario, une forte abstention tendrait à signifier que les temps sont mûrs pour qu’une «révolution» éclate. Que l’exception algérienne est une illusion. Bref, ce ne sont pas les partis et leurs programmes qui seraient en compétition le 10 mai mais les participants et les abstentionnistes, et que c’est de l’issue de cette partie qu’il dépendrait que le pays reste calme ou verse dans l’agitation.
Ce n’est sans doute pas dans cette alternative que croient s’enfermer ceux qui mènent campagne non pas pour eux-mêmes mais contre l’abstention.
Source Le Jour d’Algérie Mohamed Habili
Le Pèlerin