Une cité à l’histoire millénaire - Qui va sauver la Casbah ?
Située sur la côte, la Casbah fut habitée au moins dès le VIe siècle avant notre ère, quand un comptoir phénicien y fut installé. C'est le premier noyau urbain de la ville d'Alger depuis la haute Antiquité.
La Casbah est un site dont l’histoire est millénaire. Elle ne remonte pas uniquement à l’époque de Bologhine Ibn Ziri, qui l’aurait fondée au Xe siècle, mais plutôt à l’époque phénicienne au IVe siècle avant l’ère chrétienne, quand elle se nommait Icosium. Tour à tour, les Carthaginois, différentes tribus berbères, les Romains, les Byzantins et les Arabes dès le VIIe siècle convoitent la ville. La politique expansionniste espagnole commence aussi à se manifester vers le territoire algérien.
Accueilli à bras ouverts par la population locale, un corsaire turc, Kheireddine, installe sa capitale à Alger en 1516 et soumet une grande partie de l’actuel littoral algérien au sultan ottoman.
Le pouvoir central d’Istanbul intervenait peu dans l’administration de cette région et le bey régnera en maître dans sa ville où la force militaire et le commerce se conjuguent pour produire une grande prospérité économique. C’est la ville fortifiée turque qui est à l’origine de l’actuelle Casbah. Selon certains historiens, la construction de la ville débute dès 1516 et ne s’arrête pas de progresser au cours du XVIIe siècle. Si l’organisation administrative et militaire implique la présence d’un grand nombre de Turcs, il ne faut pas imaginer la ville d’Alger de l’époque comme une ville ottomane. Dans la ville la science de l’architecture militaire turque se conjugue avec les traditions architecturales arabo-méditerranéennes (habitations simples ou luxueuses ordonnées autour d’un atrium central et surmontées de terrasses).
Le commerce florissant se traduit par l’extrême richesse de la décoration intérieure des demeures algéroises. Une légende racontée par un grammairien latin du troisième siècle dit que Hercule qui se rendait au détroit de Gibraltar, aurait laissé 20 de ses compagnons à Alger.
Ces derniers auraient bâti la Casbah. Et pour que la ville ne prenne pas le nom de l’un d’eux, ils ont décidé de l’appeler Eikosi qui signifie «vingt» en grec. On affirme, par ailleurs, que Icosim signifierait îles aux épines ou îles aux oiseaux. «I» a été traduit par les linguistes spécialistes en langue punique par «Iles» au pluriel qui a été repris par les musulmans : Aldjazaïr, et la contraction de ce dernier a donné Alger et Algérie. Le nom «Alger» a été donné pour la première fois sur un document catalan au XIIIe siècle. Le site naturel assez spécial (une pente plutôt abrupte qui descend du fort vers la mer) explique les ruelles tortueuses, véritables méandres qui caractérisent la vieille ville. Heureusement, un certain goût pour l’exotisme de la vieille ville sauva une partie de la ville. Malgré les destructions dues à la mauvaise conservation de l’ancien tissu urbain, l’érosion, l’humidité et le sel marin, la Casbah d’Alger reste toujours comme un extraordinaire exemple de ville historique maghrébine avec les particularités propres au site naturel et à l’histoire de la ville. La Casbah d’Alger conserve de très intéressantes habitations traditionnelles arabo-méditerranéennes où le mode de vie ancestral arabes et les habitudes musulmanes se sont harmonisés avec d’autres traditions architecturales.
500 maisons menacent ruine
La mémoire collective d’un peuple réside dans son architecture et dans ses constructions, la Casbah d’Alger est un lieu de mémoire autant que d’histoire, en voie de disparition, si rien n’est entrepris pour la sauver.
«Nous avons demandé à plusieurs reprises la mise en place d’un plan de sauvegarde et d’un cahier des charges pour la restauration de la Casbah, conformément à l’architecture», ont indiqué dernièrement des membres de la fondation Casbah. Des maisons ont été étayées depuis plusieurs mois, mais elles n’ont jamais été véritablement restaurées. Les habitants, partagés entre ceux qui ont choisi de continuer à demeurer là où ils ont vu le jour et ceux qui y sont obligés faute de moyens, souhaitent que les pouvoirs publics trouvent de vraies solutions à ce problème.
Actuellement, plus de 500 maisons menacent ruine, selon les chiffres communiqués par la fondation Casbah. Cette dernière, qui œuvre depuis plusieurs années pour la restauration et la protection de ce patrimoine national, rencontre de nombreuses difficultés. «Nous sommes sur le terrain pour lutter contre l’oubli, la dégradation, le pillage et la protection de ce patrimoine», a déclaré son président, Belkacem Babassi, lors d’une conférence de presse tenue au forum d’El Moudjahid, à l’occasion de la commémoration de la Journée nationale de la Casbah, qui coïncide avec le 28 février de chaque année. «Cependant, poursuit-il, la fondation toute seule ne peut rien faire. Il faudrait une mobilisation des citoyens, des associations et bien sûr des pouvoirs publics.» Certains quartiers de ce site ont totalement disparu. Chaque fois qu’une ancienne bâtisse s’effondre, on goudronne l’endroit ou on le transforme carrément en place publique ou en un petit parking. «La fondation Casbah n’a jamais ménagé ses efforts pour la protection de ce patrimoine, toutefois elle ne peut, à elle seule, le sauver», a admis avec amertume Ali Mebtouche, ex-président de la fondation. «Il y a certains responsables qui ne mesurent pas la gravité de la situation au niveau de la Casbah. Si des pages entières de notre histoire sont déchirées, la responsabilité incombera aux autorités», a-t-il martelé.
La Casbah a souffert d’une gestion amphigourique durant une vingtaine d’années, soit de 1978 à 1998, bien qu’un organisme ait été créé en 1985, à savoir l’Office de gestion et de régulation des opérations de la Casbah d’Alger appuyé par une entreprise algérienne de restauration (Erc), à l’instar de Sonabita, des entreprises algériennes qui ont démontré leur savoir-faire dans le domaine de la restauration. Les intervenants ont également soulevé la question de la mauvaise réhabilitation, pour avoir octroyé des travaux de restauration à des personnes qui ignorent tout de l’architecture et de la restauration du patrimoine et de certains sites historiques fragiles, qui nécessitent un savoir-faire et des experts en la matière. «La restauration est un art, et ce n’est pas donné à n’importe quelle personne de faire des travaux de réhabilitation», a déclaré M. Mebtouche.
«La restauration de la Casbah est non seulement un enjeu civilisationnel et culturel, mais également un enjeu économique et touristique, vu qu’elle peut créer des postes d’emploi et attirer de nombreux touristes», a noté M. Babassi.
Une fondation contre l’oubli
La fondation Casbah a été créée il y a 20 ans. Lors de sa création en 1990, elle s’est fixé comme principal objectif la sauvegarde, la restauration et la protection de la vieille médina.
La fondation Casbah vise, en outre, à mobiliser tous les Algériens, particulièrement les Algérois autour d’un nombre d’actions concrètes au service exclusif dans le but de la réhabilitation et la sauvegarde de ce patrimoine.
La fondation œuvre notamment à la rénovation de la vieille médina dans ses limites historiques et administratives, formaliser les dossiers des propriétaires et apporter un soutien pour que tous ceux et toutes celles qui veulent asseoir sur le plan juridique leurs droits et obligations puissent le faire dans la plus grande clarté et les meilleures conditions.
Depuis sa création qui remonte à 20 ans, les membres de la fondation n’ont pas ménagé leurs efforts pour la réhabilitation, la sauvegarde et la restauration de ce patrimoine et ce, dans différents domaines, notamment le suivi des actions entreprises par l’Etat, la mobilisation des propriétaires des douerette, la participation aux réunions préparatoires pour le classement de la Casbah dans le patrimoine mondial par l’Unesco, la création de comités de quartiers afin de sensibiliser les enfants de la vieille médina à sa sauvegarde et d’aider à la relance de certaines activités artisanales. La fondation Casbah a été sommée de quitter Dar El-Hamra, son siège social, au moment même où certaines de ses activités allaient connaître un début de concrétisation grâce notamment à la promulgation de nouveaux textes de loi en relation avec la sauvegarde du patrimoine.
Il faut souligner que la fondation Casbah, en collaboration avec la société civile et les autorités locales à Alger, ont mené un grand nombre d'actions notamment le recensement des familles habitant la Casbah, le nombre de bâtisses à évacuer, les diagnostics des bâtisses par une dizaine d'architectes, l’étude de la restauration et d'autres actions.
Les membres de la fondation luttent, par ailleurs, contre un nouveau phénomène qui a pris de l’ampleur ces dernières années à la vieille médina : le pillage des pièces artistiques, faïences, colonnettes et autre objets d’esthétique.
Certaines personnes volent ces objets uniques en leur genre pour les revendre ensuite en tant qu’objets de décoration. La Casbah d’Alger a été classée patrimoine universel par l’Unesco à l’issue d’une réunion tenue au mois de décembre 1992 à Santa Fe, aux Etats-Unis. Cette classification est considérée comme une éclatante victoire pour tous les Algériens.
Une architecture adaptée aux séismes
Les maisons de la Casbah n’ont pas de fondations... Ce sont des macro constructions, une sorte de château de cartes et chaque maison soutient l’autre. Selon des historiens, le puissant séisme qui a frappé Alger en 1716 a détruit un grand nombre des maisons de sa Casbah et endommagé d’autres. Les historiens estiment les pertes à 20 000 personnes sur les 100 000 qui y résidaient à cette époque. La ville fut reconstruite sur des bases plus solides.
Ainsi les architectes avaient-ils imaginé un système de construction simple, capable de résister aux faibles secousses telluriques. Il s’agit d’un système de rotules qui ont été placées à la reconstruction permettant aux maisons de bouger horizontalement et non verticalement. Par ailleurs, au niveau des plafonds, les maisons sont constituées de rondins qui ont l’avantage de résister aux charges horizontales des secousses telluriques, dont ils répartissent et dispersent l’énergie, en plus de l’incorporation de rondins au-dessus des chapiteaux. Sachant que généralement les tremblements sont des secousses horizontales, grâce à ces rotules les constructions bougent, mais reviennent à leur place.
Cependant, la Casbah n’est pas totalement parée contre les séismes.
Au contraire, l’érosion naturelle et des siècles d’existence ont énormément affaibli ses constructions. La preuve, à chaque pluie ou au moindre souffle de vent un peu fort, l’on assistait à l’écroulement des bâtisses tel un château de sable.
Rites et coutumes
A Alger, ville moderne, les cérémonies familiales n'ont plus le faste traditionnel d'antan. Mais, à la Casbah, la coutume est toujours respectée. Les mariages, en particulier, y sont célébrés à l'ancienne avec des festivités auxquelles tout le quartier participe. A la Casbah, palais et mosquées foisonnaient, mais les démolitions de l'époque coloniale en firent disparaître la majeure partie. A chaque fois qu'une maison s'écroule, les autres sont menacées de ruines, mais les occupants mettent des années à quitter leurs demeures devenues dangereuses et à accepter d'être relogés. Les habitants de la Casbah dont la demeure s’est écroulée sont relogés dans des ensembles à 20 km du centre d'Alger. Mal préparés à ce genre d'habitats et craignant surtout l'éloignement, beaucoup refusent de s'en aller ou retournent clandestinement dans leur ancien quartier. Dans les maisons ouvertes au ciel, il ne reste que des familles de condition très modeste. Derrière des murs lépreux et des portails toujours fermés, des joyaux d'architecture mauresque périssent lentement, faute d'entretien. La partie basse de la Casbah, proche de la mer et du port d'Alger, avait été, à l'époque de la splendeur de la cité, un important quartier commercial. Il n'en reste guère de traces si ce n'est un marché aux puces dans une ancienne rue commerçante.
Source Infosoir Madjid Dahoumane
Le Pèlerin