Un provisoire à la vie dure
Cela bruisse dans les coulisses où, peu à peu, on (re)parle de la révision de la loi fondamentale. La Constitution algérienne est bien devenue l'Arlésienne dont le leitmotiv réapparaît tous les quatre ans à la veille d'un nouveau mandat présidentiel. Cela a été le cas à l'automne 2008, ça le sera à nouveau en 2013, où la loi fondamentale, qui revient cycliquement au-devant de l'actualité politique nationale, subira un «lifting». Cela dénote l'incertitude et les hésitations où se trouvent des hommes qui, assurément, ne semblent pas pressés de fermer ce chapitre, pourtant vital pour la stabilité du pays, par l'établissement d'une loi fondamentale pérenne. Dans sa lettre de démission de la Constituante - élue le 20 septembre 1962, dont il assurait la présidence - le premier président du Gpra, Ferhat Abbas, a écrit: «Donner une Constitution à la République est un acte d'une extrême importance. Il requiert notre réflexion, notre sagesse. Après l'héroïque combat pour l'indépendance, c'est un autre combat qui s'impose à nous. Le peuple tout entier et, en premier lieu, ses représentants doivent faire preuve de lucidité et de courage. La loi du silence que nous nous sommes imposée durant les sept années de luttes, parce que l'adversaire était au milieu de nous, n'a plus sa raison d'être. Le silence doit être rompu.» Hélas, le silence n'a pas été rompu, il s'est en revanche appesanti dès lors que le «béni-oui-ouisme», réinventé, a fait école. La Constitution exemplaire que le défunt Ferhat Abbas appelait de ses voeux pour l'Algérie n'a finalement jamais vu le jour. «Aux anciens peuples colonisés, nous devons donner l'exemple de la maturité politique et de la cohésion. Nous devons leur donner l'image d'un peuple majeur qui gère sainement et démocratiquement ses affaires. Avec la Constitution qui est proposée, c'est toujours le provisoire qui dure, et aucun problème fondamental ne reçoit de solution valable», relève tristement le député de Sétif. Or, cinquante ans après l'indépendance il faut bien admettre que le provisoire dénoncé par l'ex-président de la Constituante, Ferhat Abbas, dure toujours. De fait, dès le 3 octobre 1963, le président Ben Bella donna un coup de canif au consensus national, en recourant à l'exercice des pleins pouvoirs (référence à l'article 59 de la Constitution de 63) court-circuitant le dialogue en gelant les activités de la jeune Assemblée nationale. Depuis, la loi fondamentale du pays - avec l'entracte du régime des ordonnances de juin 1965 à septembre 1976 - fut triturée de toutes les façons. La deuxième Constitution du pays (qui n'annonçait pas cependant la IIe République) fut approuvée par référendum en septembre 1976. Elle fut révisée et/ou amendée successivement en 1989, en 1996 (achèvement de la période de transition, 1992-1997) et donc en 2008. Mais tout cela est provisoire puisque la Loi fondamentale n'est pas encore au «top» et doit être améliorée. En fait, une Constitution qui organise les pouvoirs entre les différents segments de l'Etat, n'a d'utilité pérenne que dans la clarté de leur agencement et de leur exercice, en plus de l'indépendance de ces pouvoirs les uns par rapport aux autres. Or, si la Constitution actuellement en vigueur a permis des avancées dans le domaine des libertés et de la gouvernance, il n'en reste pas moins qu'elle renferme nombre de manques et d'ambiguïtés relevés par les juristes et les constitutionalistes, lesquels freinent la stabilité du pays en l'absence d'une véritable alternance de pouvoir, qui font que les textes fondamentaux survivraient aux hommes. Aussi, la question essentielle qu'il faut désormais poser, et qui reste à poser, est celle ayant trait à la caractéristique et à la nature du régime à instaurer, compte tenu des cinquante années d'expérience accumulée par le pays. C'est en fait un questionnement inévitable. Aussi, la question de l'amendement envisagé risque d'être dépassée si elle n'est pas posée en termes de pérennité d'un texte fondamental qui engage l'avenir de l'Algérie et des Algériens sur le long terme. Il faut seulement s'entendre sur ce que l'on veut pour ce pays, en lui élaborant des textes de loi qui ne soient ni ambigus ni facultatifs, qui ouvrent de vraies perspectives de développement pour l'Algérie.
Source L’Expression N.Krim
Le Pèlerin