Inquiétante régression du patrimoine liège
En effet, avec son patrimoine subéricole d'environ 400 000 hectares, l'Algérie occupait, à la fin des années 1980, la troisième position. Notre pays se retrouve aujourd'hui au septième rang des pays producteurs ; une régression qui tient à plusieurs facteurs anthropiques, dont les plus importants sont les incendies de forêts qui ont ravagé le patrimoine végétal national (une moyenne de 25 000 ha de forêt qui part en fumée chaque année) et l'installation de charbonnières par des particuliers qui transforment illégalement le liège en charbon à des fin lucratives. On retrouve le produit des charbonnières chez les vendeurs de grillages un peu partout en Algérie, et particulièrement en été sur la côte, sachant que les wilayas qui disposent de meilleurs potentiels en liège, sont celles proches de la mer au niveau du centre-est et de l'est algérien (Tizi Ouzou, Béjaïa, Jijel, Skikda, Annaba). Les forêts de liège à la lisière des Hauts Plateaux, à l'image de la wilaya de Tlemcen au niveau d'Ahfir et de Zerifet, sont encore plus exposées au danger du fait de leurs grandes difficultés de régénération. Avant les grands incendies des années 1990, l'Algérie produisait, bon an mal an, quelque 25 000 de tonnes de liège par an. Ce volume sera réduit de moitié quelques années plus tard. Il n'a atteint que 3 000 tonnes au cours de la campagne 2012.
À l'échelle du monde, l'aire de répartition du chêne-liège se réduit au pourtour méditerranéen. Avec l'olivier, c'est l'espèce méditerranéenne par excellence. Mais, en réalité, il n'y a que sept pays producteur de la matière première provenant de cet arbre : Portugal, Espagne, Italie, France, Maroc, Tunisie et Algérie. Les deux tiers des besoins mondiaux en liège sont produits par le Portugal qui occupe actuellement la première place dans le domaine.
L'entreprise (Sarl) El Wiam, installée depuis 1991 à Belghimouz (wilaya de Jijel) et spécialisée dans la transformation du liège. Son gérant, Zaïmeche Mohamed Rafik, en tant que professionnel de cette filière, s'exprimait sur le sujet le 9 mai 2013 sur le journal on-line Econews en montrant son pessimisme quant à l'avenir du secteur. "Je peux vous dire que l'Algérie perd, en moyenne, 800 tonnes de liège chaque année. A ce rythme, il n'y aura plus de liège en Algérie d'ici l'année 2020. Ce qu'il faut savoir aussi c'est qu'un chêne-liège prend 35 à 40 ans pour pouvoir être exploité", dira-t-il. Il explique également que le démasclage (écorçage) du chêne-liège doit se faire avec une périodicité de neuf à dix ans, faute de quoi l'arbre risque de dépérir. L'entreprise El Wiam, qui est installée au cœur de l'espace géographique propre au chêne-liège, à savoir la wilaya de Jijel qui compte quelque 43 000 hectares de boisement en cette espèce. Néanmoins, le gérant de l'entreprise, M.R.Zaïmeche, déclare que la matière première que son usine transforme et exporte, provient de toutes les wilayas subéricoles, allant de Tlemcen, à l'ouest, jusqu'à El Kala et Souk Ahras, à l'est. "La majeure partie de nos produits est destinée à l'exportation. Nous exportons nos produits vers des pays européens tels que l'Italie ou le Portugal, et des pays asiatiques tels que l'Inde et la Chine", affirme-t-il. Le Portugal, grand pays producteur- avec une superficie en chêne-liège qui atteint les 700 000 hectares- importe le produit algérien parce que, d'après M.R.Zaïmeche, "le liège algérien est de très bonne qualité et présente des propriétés physiques très prisées. D'un autre côté, le Portugal, en achetant le liège algérien, souhaite conforter davantage sa position dominante sur le marché mondial".
La position algérienne dans le concert des pays producteur de liège ne peut être améliorée que par la réhabilitation de la subéraie existante et par l'extension du patrimoine sur des aires où sa culture peut être techniquement possible. Beaucoup d'efforts ont été faits dans ce sens, mais les résultats ne sont pas encore probants. "Les autorités algériennes ont mis beaucoup de moyens pour préserver les subéraies de lièges du pays, mais cela prend du temps. De grandes opérations de reboisement ont été menées mais nous pensons que la priorité doit être accordée à la préservation des surfaces existantes, car il est plus coûteux de reboiser et d'attendre les résultats que de préserver ce que nous avons déjà", soutien le gérant de l'entreprise El Wiam.
Une loi dépassée par les événements
La préservation du patrimoine en liège est une question intimement liée à la politique générale de la gestion forestière dans notre pays. Celle-ci a longtemps souffert de la conjoncture sécuritaire, faisant que les agents et cadres du secteur avaient perdu prise sur l'espace forestier. Avec le reflux du terrorisme, les incendies ont continué. Rien que pour l'année 2012, la superficie brûlée avait dépassée les 80 000 hectares. L'on sait que l'espèce est très vulnérable au vu de la grande densité du sous-bois accompagnant le développement des arbres. Le sous-bois est une source dangereuse de départ de feu. À cela, se greffe la situation des peuplements qui, après incendie, régénèrent avec une densité excessive ; ce qui requiert des coupes sylvicoles destinées à réduire la densité à l'hectare. Un peu partout, des opérations de ce genre sont initiées par l'administration des forêts, en plus des opérations de repeuplement dans les zones dégarnies. Mais, les efforts à fournir pour réhabiliter réellement cette espèce purement méditerranéenne et pour espérer intégrer son produit dans la nouvelle économie algérienne sont encore considérables.
La loi 84-12 de 1984 par l'intermédiaire de laquelle l'administration réprime les atteintes au patrimoine forestier, et plus spécialement au chêne-liège, est complètement obsolète. Trente ans après sa promulgation, elle est dépassée par la vitesse d'évolution de la société algérienne : urbanisation forcenée, création de zones touristiques, démographie galopante,…etc. Pour pouvoir contribuer à la protection du patrimoine forestier, les juges et les procureurs à qui sont transmis les procès-verbaux de constatation de délits, se disent généralement impuissants face au patent retard législatif du secteur des forêts.
Depuis des années, la direction générale des forêts avait envisagé l'abrogation de cette loi et son remplacement par une loi plus adaptée aux enjeux actuels, dans lesquels les défis environnementaux et économiques sont intimement imbriqués. Plus qu'une question économique, par laquelle les pouvoirs publics et les investisseurs sont censés apporter, en partie, une réponse à la grande ambition de la diversification économique du pays et, par conséquent, des recettes budgétaires de l'État, la culture du chêne-liège fait partie de la grande préoccupation environnementale de l'Algérie et du bassin méditerranéen, du fait que la subéraie est un écosystème global qui conditionne l'existence et la pérennité de cortèges floristiques et faunistiques particuliers. C'est le lieu d'établissement de précieuses niches écologiques contribuant à la biodiversité, outre qu'il constitue un couvert végétal protecteur du sol contre l'érosion et régulateur du régime des eaux.
Source Les Débats Saâd Taferka
Le Pèlerin