Se mettre au frais, mais à quel prix ?
L’ouverture du marché algérien a démocratisé la climatisation à grande échelle ces dernières années. Réservée jusque-là à une certaine clientèle issue de la classe aisée, l’utilisation de la climatisation intéresse un nombre de plus en plus important d’acquéreurs. Avec des 40 -45° C, une seule idée hante les esprits : se mettre au frais. S’équiper d’un climatiseur au plus bas prix possible est ainsi devenu un objectif aussi important que celui d’acquérir un réfrigérateur, une machine à laver ou un téléviseur. La demande est d’autant plus forte que le ramadan a coïncidé avec la période des grandes chaleurs. Les prix ne sont certes pas à la portée de tous, mis chaque famille fait de son mieux n’hésitant pas à casser sa tirelire.
El-Hamiz, ou le royaume de la clim
Marché - El-Hamiz, à l’est de la capitale, reste, sans conteste, le royaume de l’électroménager. Mais aussi du climatiseur.
Cette paisible localité s’est transformée, en l’espace de quelques années seulement, en un véritable lieu de pèlerinage pour tous ceux désirant acquérir du matériel électroménager. Dans des magasins de grandes superficies, les climatiseurs, entre autres, sont proposés à des prix compétitifs comparativement à d’autres marchés. A titre illustratif : le 9 000 Btu est cédé à 25 000 dinars, le 7 000 btu à 22 000 dinars et enfin le 12 000 btu à 26 000 dinars pour les produits localement fabriqués. Les prix peuvent dépasser les 60 000 dinars s’agissant des produits de grandes marques. Les chemins y menant donc, connaissent une grande affluence. Nous étions de passage, un samedi, dans ce royaume de l’électroménager. Le constat est frappant : on se croirait à première vue dans un marché automobile. A El-Hamiz, on vient de partout y compris des wilayas limitrophes. Dans les parkings jouxtant les magasins, les plaques d’immatriculation hors wilaya d’Alger (16), ne peuvent passer inaperçues. En ce deuxième jour du week-end, ils étaient nombreux à prendre d’assaut les magasins de l’électroménager. Ces derniers ne désemplissent pas. «On a beau essayer de passer l’été sans climatiseur, les grosses chaleurs de ces derniers jours ne nous ont pas du tout facilité les choses. Il n’est vraiment pas du tout facile de jeûner avec cette horrible chaleur. Nous, adultes, nous pourrions tenir à un certain degré, mais ce n’est pas le cas pour les bébés et les personnes âgées. C’est ce qui m’a contraint à venir ce matin au Hamiz», nous a confié Mourad venu en compagnie de son épouse. Ce salarié de la Société nationale des transports ferroviaires, a indiqué qu’«il lui a fallu bien des économies pour acquérir un climatiseur» et pour lui «la marque importe peu». «Le plus important pour moi est de mettre à l’abri de la chaleur mes deux enfants âgés respectivement de 2 et 4 ans ainsi que la maman qui dépasse les 70 ans.» Pratiquement toutes les surfaces proposant des climatiseurs connaissent un afflux remarquable. «Seule la climatisation peut aider à supporter autant de chaleur et il est tout à fait normal qu’il y ait autant de clients», a affirmé Brahim, revendeur depuis six ans. Cependant, a-t-il poursuivi, les ventes ont bien chuté depuis le début du ramadan. Une chute motivée, selon lui, par l’incapacité des smicards particulièrement, à répondre à toutes les dépenses de ce mois, les besoins de la table ramadanesque étant la priorité des familles. Le climatiseur est donc supplanté en ce mois par «le ventilateur, dont le prix avoisine les 2 000 DA». Quant aux autres produits électroménagers vendus en cette période, Brahim a affirmé que «ce sont les LCD et plasma qui détrônent les autres appareils». Sans omettre, précise-t-il, les réfrigérateurs et les machines à laver.
Un métier à risques
Débrouille - Adossé au mur d’une cafétéria de la rue Didouche-Mourad, des outils posés à même le sol, Kamel est «un bricoleur». Sans diplôme aucun, il affirme «pouvoir presque tout faire». Y compris installer un climatiseur.
De cordonnier à mécanicien, à électricien bâtiment et auto, en passant par boulanger, plombier, plâtrier ou peintre jusqu’à installateur de climatiseurs, les petits métiers peinent, pour des raisons inexpliquées, à retrouver leur place d’antan. Même s’«il faut de tout pour faire un monde», comme le dit l’adage, en Algérie «les bricoleurs» sont de plus en plus rares. Les installateurs de climatiseurs aussi. Il a fallu faire toute une gymnastique pour être enfin orienté vers Kamel. Adossé à un mur d’une cafétéria de la rue Didouche-Mourad, des outils posés à même le sol, Kamel est «un bricoleur». Sans diplôme aucun, il affirme «pouvoir presque tout faire». Y compris installer un climatiseur. Il occupe cette partie du trottoir pratiquement tous les jours guettant un éventuel client. Il s’emporte dès qu’il s’aperçoit que nous ne sommes pas des clients, mais juste des curieux. Il a fallu faire montre d’une grande patience avec lui, pour qu’il se décide enfin à nous parler de son métier. «La vie ne m’a pas gâté. J’ai quitté l’école en 1987, alors que je n’étais qu’en 8e année fondamentale. Depuis, j’ai goûté à toutes les misères dont bien sûr le chômage», a-t-il dit d’emblée. Et d’enchaîner : «Subvenir aux besoins de la famille n’était pas chose aisée. Donc il fallait vraiment acquérir un métier. Installer les climatiseurs pour des particuliers, je l’ai appris juste en regardant les autres faire. Cela fait presque cinq ans que je suis dans le domaine. Les affaires marchent bien en cette période caniculaire, mais il y a des périodes creuses évidemment même en été.» Interrogé sur les prix, Kamel a été affirmatif. «La moyenne pour l’installation d’un climatiseur est de 2 500 DA.» Ce prix, a-t-il précisé, pourrait augmenter «selon les circonstances, parfois difficiles, de l’emplacement du climatiseur». Kamel n’a pas omis de signaler à ce propos : «Les dangers entourant ce genre de métier, particulièrement quand on est suspendu entre ciel et terre». Si lui, n’a jamais été confronté à de telles situations, son ami Ouahid n’a pas eu cette chance. Ne voulant pas aller au fond des choses, Kamel s’est juste contenté d’assurer que son ami «a failli quitter ce monde après une chute de près de dix mètres du haut d’un immeuble après que les supports-climatiseurs n’ayant pu supporter un surplus de poids, ont lâché l’entraînant dans le vide».
Le service après vente est inexistant
Epine - Si les commerçants de l’électroménager d’El-Hamiz ne se plaignent pas des affaires qui marchent à merveille, un détail, et pas des moindres, a été soulevé.
Il s’agit du service après vente qui est tout simplement «inexistant». «Il nous arrive parfois de ne pas savoir quoi répondre à nos clients qui viennent se renseigner sur des détails concernant la mise en marche de leurs appareils ou de la pièce de rechange au cas où la garantie expirerait», a assuré à ce propos Brahim. Selon lui, les représentants des différentes marques «doivent apprendre à bien communiquer avec leur clientèle». Dans le cas contraire, c’est le revendeur, qui est, a-t-il soutenu, le plus pénalisé.
En effet, les représentants des différents fabricants des climatiseurs devraient impérativement communiquer avec leur clientèle et leur garantir un service après vente fiable capable de répondre à leurs aspirations. C’est une règle mondialement mise en application. On en entend souvent parler mais ce service demeure, d’un côté méconnu du consommateur, de l’autre pas du tout assuré par les fabricants eux-mêmes et ce, pour des raisons inexpliquées. Dans le souci d’apporter au moins quelques réponses à ces questionnements nous nous sommes rapprochés d’un représentant de l’une des grandes marques de l’électroménager installé en Algérie depuis bien longtemps. Au début, le responsable de la maintenance dans cette marque, (…) n’a rien voulu entendre de ces défaillances signalées ici et là. «Je ne dirai rien concernant les autres marques. S’agissant de la nôtre, nous tenons à chaque exercice, à renforcer nos points de SAV à travers les villes algériennes afin de garantir une bonne prise en charge des réclamations de la clientèle», a-t-il noté. Se voulant plus explicite, ce responsable a estimé que «beaucoup reste encore à faire» quant à la généralisation de «l’exigence» d’un service après vente digne de ce nom, et ce pour toutes les marchandises mises en vente et pas seulement l’électroménager.
«L’ouverture du marché algérien remonte à peine à quelques années et ce n’est pas en si peu de temps que l’on pourrait inculquer la culture de la consommation à la clientèle», a-t-il ajouté. Qui a raison, qui a tort ? Les représentants des marques de l’électroménager et les clients se rejettent la balle. Chacune des deux parties estimant «avoir raison». Quoi qu’il en soit, le service après vente en Algérie représente jusque-là le maillon faible de la chaîne de vente de tout produit.
L’été de toutes les dépenses
Nécessité - Rencontré à l’entrée d’un magasin d’électroménager, Madjid n’avait pas du tout l’air enthousiaste à l’idée d’acheter un climatiseur.
La raison de ce peu d’entrain est que l’été, à ses dires, est la période de toutes les dépenses, à commencer par les fêtes familiales et les sorties à la plage. Madjid, délégué de sécurité dans une société privée, semble ne plus savoir où donner de la tête. «Pour moi, l’été est la saison durant laquelle je me vide les poches. Outre les frais de mon véhicule, je me retrouve contraint d’exaucer le vœu de ma petite famille qui tient vraiment à un climatiseur. Je me retrouve ensuite confronté à d’autres dépenses notamment en ce ramadan durant lequel nous sommes déplumés par les commerçants ». Et c’est à la facture d’électricité «qui risque d’être salée désormais», qu’il a songé en premier lieu. Hakim est du même avis. Il est chauffeur de taxi. Comme beaucoup d’autres citoyens, Hakim s’est rendu au Hamiz «dans le but de s’acheter un climatiseur au plus bas prix possible après insistance de sa femme». «Je ne vous le cache pas. N’était l’insistance de mon épouse, je ne serais pas là à faire le tour des magasins à la recherche d’une bonne affaire», a-t-il noté. Interrogé sur les dépenses, Hakim a eu une réponse ironique : «J’aurais bien voulu être député. A 30 millions de centimes le mois, pas de quoi se plaindre.» Une réponse sans équivoque. Pour lui, avec un salaire pareil, il est plus aisé de répondre à tous les besoins de sa famille. Des dépenses qu’il ne peut assumer avec un salaire inférieur à 40 000 DA. Nacer, employé à la poste de Bachdjarah, quant à lui, a reconnu la complexité de la tâche de répondre positivement à toutes ces dépenses durant cette période estivale. Il abonde dans le sens de ceux déjà questionnés à ce propos. «Avec un été qui coïncide depuis trois ans avec le ramadan et juste après avec la rentrée scolaire, il n’est vraiment pas évident de faire face. Il m’arrive souvent de ne pas répondre à toutes les invitations aux fêtes familiales faute de moyens et franchement, à choisir entre les fêtes et le climatiseur, j’aurais opté sans hésiter pour ce dernier», a-t-il déclaré. C’est dire qu’entre les besoins croissants des familles, les exigences d’une vie qui se capitalise de plus en plus et les prix qui augmentent sans cesse, le smicard particulièrement se voit contraint de choisir entre la fraîcheur de son domicile et la «chaleur» des prix.
Source Infosoir Farid Houali
Le Pèlerin