Une voiture algérienne, rien de plus facile !
De l'avis de tous, la dernière édition du salon international de l'automobile a été un succès. Ce rendez-vous, est-il besoin de le mentionner, attire, comme chaque année, des dizaines de milliers de visiteurs. L'occasion de constater, encore une fois, que tout a été exposé, sauf cette fameuse voiture "made in Algeria".
Dans un contexte mondial marqué par une crise de l'industrie automobile, notamment aux Etats-Unis et en Europe, la façon avec laquelle évolue le marché algérien fait de lui un marché à forte demande sans doute unique dans la région. Avec ou sans le soutien des banques, la demande bat record sur record, qu'il s'agisse des entreprises, des administrations ou des particuliers. La tendance du marché domestique est, toutes proportions gardées, semblable à celle qui se dégage en Chine, en Corée du Sud ou en Inde, où la hausse du revenu fait que le marché des véhicules atteint son niveau historique. C'est là où l'on s'étonne de voir, alors que toutes les filières supposées rentables ont été occupées avec zèle par l'investissement public ou privé, national ou étranger, le domaine des véhicules demeure le seul où aucune offre nationale ne vient profiter d'une demande pourtant extraordinaire. L'Algérie doit être l'un des rares pays dans ce cas, puisque les pays émergents (Inde, Chine, Brésil, Russie, Turquie, Afrique du Sud…) et même ceux de moindre ambition, ont tous fini par disposer de leur propre industrie automobile, avant de passer du stade de l'autosatisfaction potentielle à celui de l'exportation.
Inutile ici de revenir sur le feuilleton Fatia, celui de la venue ou non de Renault, de Volkswagen et on en passe, car il s'agit de dossiers qui ont eu de forts effets d'annonce, mais qui n'ont jamais vu le jour, avec en prime un gouvernement qui s'autorise à ne rien expliquer aux Algériens sur les raisons qui sont derrière la réticence des constructeurs à s'installer en Algérie. Certes, l'argent n'aime pas le bruit et les partenaires du gouvernement n'apprécieraient pas trop que les secrets des négociations soient éventés, mais tout de même, des promesses il y en a eu et des espoirs maintes fois déçus.
Le constat est là, toutefois : personne ne semble avoir envie de construire des voitures dans un marché où tout le monde a envie d'en avoir ! Le paradoxe est criant, et ne s'explique que par très peu de possibilités, dont aucune ne peut avoir de lien avec la rentabilité d'un tel projet. Soit les constructeurs préfèrent, et ils ont le droit d'avoir leurs propres stratégies régionales, vendre des voitures en Algérie plutôt que d'en construire, d'autant que beaucoup de marques ont jeté leurs usines dans des pays où la maîtrise technologique s'allie à la baisse du coût de la main d'œuvre. Soit, et il ne faut pas l'exclure, ces mêmes constructeurs refusent que le gouvernement leur pose des astreintes et notamment la contrainte éventuelle de devoir coopérer dans le sens du transfert technologique. Il va de soi, au vu de la concurrence qui bat son plein, que nul n'a envie de voir émerger un nouvel acteur dans le secteur qui, non seulement réduirait la part de marchés de chacun à l'échelle locale, mais qui pourrait ensuite avoir des vues sur le marché maghrébin et, plus tard, viser l'Afrique.
En tout état de cause, le gouvernement algérien n'arrive pas à trouver des partenaires étrangers pour l'aider à implanter une industrie automobile dans le pays. C'est là un échec de plus à mettre sur le compte des autorités, bien que ce qu'on peut leur reprocher le plus, ce ne soit pas tant dans la volonté mise que dans l'approche avec laquelle fut traitée la question.
Il s'agit d'une approche malheureusement héritée de l'époque des usines "clés-en-main" des années 1970 et qui a vu le pays épouser une industrialisation préfabriquée et ne répondant à aucune démarche durable, puisque le palier technologique acquis demeurait au même stade avec lequel était lancée telle ou telle unité de production. Or, cette politique n'a fait en réalité, que le seul acte économique réalisé jusqu'alors était la dépense, au mieux l'achat, sans plus, et surtout pas la moindre acquisition technique ou scientifique comme le prétendaient les discours triomphalistes du passé. Et aujourd'hui encore la seule chose que des partenaires étrangers voudraient concéder au gouvernement serait de livrer une usine qui, dans sa politique serait dirigée par les autorités, dans le sens d'une satisfaction de la demande, tandis que ces mêmes partenaires continueraient d'imposer un plafond technologique qui sera le même que le reste de leurs filiales à travers le monde.
La question qu'il convient de poser aujourd'hui est de savoir comment les Coréens, les Chinois et les Indiens ont réussi à avoir leur propre industrie automobile alors qu'à aucun moment les grandes marques occidentales ne les ont aidés en quoi que ce soit. Ces trois pays, par exemple, fortement inspirés par l'essor japonais, ont tout simplement remporté leurs défis palier par palier technologique, commençant pas la sous-traitance de la pièce détachée, puis les véhicules utilitaires et les poids lourds, avant d'aller vers les véhicules légers et ceux dits de luxe. Maintenant, ils n'ont d'autre objectif que d'entrer dans le club très fermé de la Formule 1, ces mini-laboratoires à quatre roues, à travers laquelle ils entendent renverser la culture dominante de leurs concurrents occidentaux !
A la comparaison, l'Algérie n'est, en vérité, pas si en retard que cela, puisque le pays dispose d'une base industrielle unique dans la région. Avec la SNVI, dont on se demande pourquoi on voulait s'en débarrasser à un moment donné, il y a un formidable potentiel de départ avec lequel les autorités peuvent inaugurer une nouvelle ère. La SNVI fonctionne bon gré, mal gré, vend partout dans le pays, et son carnet de commandes compte encore quelques clients étrangers. Bien entendu, un camion est nettement moins compliqué qu'une voiture, mais il n'y a que les marketeurs pour oser soutenir que le principe n'est pas le même. Un programme de mise à niveau s'impose, mais surtout une volonté politique pour ce faire, d'autant que c'est le fonds qui manque le moins, tout cela sera nécessaire, ainsi que l'abandon des approches qui ont déjà échoué. Aujourd'hui, la technologie n'est pas entre les mains d'une liste limitée de sociétés, elle est un marché, une bourse des brevets qui se vendent et s'achètent sur le marché mondial et au plus offrant. Tout comme les compétences étrangères, si l'on admet qu'il faut avoir recours à des cadres au savoir-faire avéré et qui seraient tout contents de fuir, armes et bagages, des pays où la crise fait qu'il n' y fait plus bon vivre.
Source Liberté Nabil Benali
Le Pèlerin