Le pouvoir face au spectre de l’abstention
Le compte à rebours pour les prochaines élections législatives a commencé. Moins de deux mois nous séparent d’un rendez-vous qualifié par un bon nombre de représentants politiques d’historique. Ces derniers croient dur comme fer que ces mêmes législatives pourront faire enfin sortir l’Algérie de son impasse. D’autres estiment que l’heure est au changement et à la mobilisation. Les chefs de file et les représentants des partis sillonnent les quatre coins de l’Algérie afin de sensibiliser les électeurs pour qu’ils se rendent massivement ce jour-là aux urnes, sachant que même au plus haut sommet de l’Etat, l’on se préoccupe du boycott des électeurs et non pas de celui des partis politiques.
L’histoire se répète
Préoccupation - C’est devenu comme une hantise, une obsession.
Le ministre de l’Intérieur en a même fait l’aveu dans une intervention sur les ondes de la radio nationale.
Le président de la République a, à deux reprises, lancé un appel aux Algériens de rompre avec l’abstention. Quant aux partis politiques, y compris ceux fraichement agréés, en lice pour ces élections, ils multiplient leurs appels à une participation massive. Ironiquement, cela nous rappelle les élections des années 1990 quand les Algériens étaient pris entre le marteau des islamistes qui ne voulaient plus entendre parler d’une élection dans un pays où «leur droit de gouverner fut confisqué» et l’enclume des gouverneurs de l’époque qui «estimaient qu’il fallait prouver que l’Algérie est toujours debout». Les donnes pour ces élections du 10 mai 2012 ne différent pas beaucoup sauf que cette fois-ci, l’Algérien ne semble plus aussi motivé que par le passé par l’acte de voter. Les élections ne sont plus cette discussion préférée abordée dans les cafés, les marchés et les stades.
Les citoyens préfèrent vouer du temps, chacun à ses préoccupations quotidiennes. Un cumul de mensonges, de problèmes sociaux mais aussi l’absence de l’Etat sur tous les plans ont fait que le citoyen algérien ne songe plus aux élections. Il ne semble plus attiré par une simple procédure d’usage qui n’a aucun sens dans un pays où l’acte de voter n’est que symbolique sans respect aucun de la réelle volonté du peuple.
C’est pour ces raisons et beaucoup d’autres que l’Algérien ne pense qu’à panser ses maux, reconstruire ce que la dernière tempête de neige a détruit dans son quotidien.
C’est pour ces raisons que l’Algérien songe d’ores et déjà à se préparer pour le mois de Ramadhan prochain, faire le plus d’économies possible car il sait pertinemment que l’Etat, encore une fois, ne sera pas là pour le protéger des commerçants sans scrupule qui l’auront déplumé, au premier tour qu’il fera dans un marché.
Qui ira donc voter ? Ce ne seront certainement pas ces milliers d’universitaires qui vagabondent à longueur d’année, à la recherche d’un emploi, ni ces milliers de jeunes ayant déposé des dossiers à l’Ansej et à la Cnac dans l’espoir de disposer de leur propre entreprise, ni encore moins ces milliers de demandeurs de logements qui attendent toujours que le projet d’un million de logements soit enfin concrétisé.
Entre le citoyen et son administration, le fossé s’est de plus en plus élargi. Une véritable crise de confiance s’est installée. En un mot : le citoyen algérien ne croit plus, ni aux promesses de ses gouverneurs, ni à celles de ses ministres ni encore moins à celles des députés qui ne font qu’adopter des textes de loi qui ne reflètent aucunement les réelles aspirations des populations.
Les partis politiques s’y mettent
Tous les partis en lice ambitionnent une place sur le podium. Même les formations fraichement agréées croient pouvoir créer la surprise et rivaliser avec d’autres habituées à de bons résultats. Il reste seulement à espérer une participation massive car faudrait-il le souligner, même des militants de base n’ont plus confiance en leurs chefs de file. «Je suis militant au (…) depuis une dizaine d’années. Ce parti n’a jamais raté un rendez-vous électoral et il a pris part à toutes les élections.
Depuis les dernières législatives, je me suis juré de ne plus accorder ma voix à aucun de ses candidats, ni celui des autres partis d’ailleurs», affirme Badredine, comptable de profession. Selon lui, les candidats une fois élus, ne tiennent aucun des engagements faits pendant la campagne électorale. Un avis partagé par beaucoup de citoyens. La tâche des partis politiques demeure complexe. Et tous les moyens sont bons afin de parvenir à arracher la fameuse voix. Trois formations d’obédience islamiste ont donné naissance à ce qui est dénommée «l’Algérie verte». L’objectif est commun, les listes aussi. Le FLN de Belkhadem qui menace de démissionner dans le cas d’un échec, ira à ces élections «en rang serrés» après qu’un semblant traité d’entente a été signé avec les redresseurs de Salah Goudjil.
Ahmed Ouyahia du RND mobilise d’ores et déjà ses troupes. Pour le PT de Louiza Hanoun, c’est un «rendez-vous historique». Le RCD, qui a changé de tête, a choisi le boycott contrairement au FFS de Ait Ahmed qui a opté à la dernière minute pour la participation au scrutin. En somme, c’est l’alerte générale dans les états-majors des partis politiques.
Prévisions pessimistes
Incitation - Certes, ils n’ont fait aucun discours électoral mais tout le monde l’aura compris : «l’Etat compte sur vous pour vous rendre le 10 mai aux bureaux de vote.
Soyez-y nombreux», tentaient-ils de faire comprendre.
Certains connaisseurs des rouages des hautes sphères de l’Etat confirment que l’électeur algérien sera bel et bien absent le 10 mai prochain, jour de l’élection d’une nouvelle Assemblée populaire nationale (APN). Selon des sources proches du dossier, le pourcentage des Algériens à vouloir se présenter ce jour-là aux bureaux de vote ne dépassera pas les 15%.
Il faut agir et il faut surtout rappeler aux Algériens «leur devoir de citoyens». Pour ce faire, tous les moyens sont bons. Les ministres, qui se faisaient rares jusque-là lors des catastrophes naturelles, ont adopté d’autres méthodes ou ont été contraints de le faire, se dépêchant le lendemain, voire le jour même d’une quelconque crise, à la rencontre du citoyen. Les caméras de l’unique ont pris bien soin de montrer des citoyens grelottant de froid récemment à Laghouat et à El Tarf.
Les Algériens ont bien vu également le ministre de l’Energie se rendre «en pleine tempête de neige» au centre enfûteur de Sidi R’zine pour veiller au bon déroulement de la distribution du gaz naturel et ainsi permettre «aux citoyens des zones reculées d’en disposer». Certes, ils n’ont fait aucun discours électoral mais tout le monde l’aura compris : «l’Etat compte sur vous pour vous rendre le 10 mai aux bureaux de vote. Soyez-y nombreux», tentaient-ils de faire comprendre. Ce n’est pas tout. Le département de Daho Ould Kablia est allé plus loin. C’est une véritable campagne qui est menée par SMS. Chaque abonné des trois opérateurs de la téléphonie mobile a eu droit à son lot de SMS. «Voter est un acte citoyen», ne cessait le ministère de l’Intérieur de rappeler. Le même SMS est reçu le minimum deux fois par semaine. Le ministre des Affaires religieuses, quant à lui, a eu une meilleure idée.
Ce sont les imams qui sont mobilisés en la circonstance. «La mosquée, qui a été utilisée par certains groupes pour susciter la haine dans les rangs d’un même peuple, doit servir aujourd’hui la nation», a affirmé Bouabdallah Ghllamallah à partir de Sétif et de Boumerdès. Et là, sans occulter les campagnes médiatiques télévisées et radiodiffusées.
Des milliards sont dépensés rien que pour inviter les Algériens à voter. En matière de « sensibilisation», les pouvoirs publics n’ont assurément pas dit encore leur dernier mot. Sans nul doute, l’avenir nous en dira plus.
A quoi a servi l’ancienne assemblée pour en élire une autre ?
Les Algériens sont unanimes. L’assemblée populaire sortante n’a guère reflété les aspirations de la base. Cette même assemblée, autrement dit les députés, n’avait d’autres préoccupations que de s’enrichir davantage et de garantir ainsi une vie aisée au-delà de la députation. L’on se rappelle, en effet, combien les débats étaient houleux quand il s’agissait des indemnités des «élus du peuple». Ce jour-là, tous les députés étaient présents et on ne tenait pas à rater l’audience car les interventions allaitent porter sur «le devenir de l’élu». On l’a constaté et nul ne peut dire le contraire : le député n’est absent que quand il s’agit de discuter des préoccupations du citoyen. Le ministre de l’Intérieur est allé récemment jusqu’à affirmer que le prochain régime indémnitaire des députés sera révisé en fonction de la ponctualité des concernés aux audiences. Cette même assemblée sortante a eu quand même le mérite d’avoir mis en place une commission d’enquête (sans résultats concrets) au lendemain des émeutes ayant secoué notre pays en janvier 2010.
Quand l’Etat tente de rétablir… la confiance
L’Etat, à l’approche des prochaines échéances électorales, tente tant bien que mal de faire croire que le dernier mot reviendra au peuple. Les discours ne manquent pas. Les assurances non plus. En invitant des observateurs européens, le régime algérien tente de restaurer une confiance qui s’était perdue au fil des mensonges et des déceptions. Habitué jusque-là aux observateurs arabes et africains, le régime algérien semble tenir à écarter toute tentative de fraude particulièrement pour ce qui est de gonfler le taux de participation, une pratique dont on a l’habitude. En d’autres termes, il n’est pas question que se répète le même scénario où le taux de participation (selon l’opposition) était de 18% seulement. L’Etat a également, (une première en Algérie), accepté l’installation de commissions mandatées, l’une pour la supervision des élections l’autre pour la surveillance de ces mêmes élections. Si tout baigne pour la première, composée et présidée par un magistrat, rien ne va plus, par contre, pour la deuxième où siègent les partis politiques en lice. En effet, la CNSL, pour «protester contre le peu de moyens mis à sa disposition» a gelé ses activités trois jours durant. Les choses n’ont pas tardé à reprendre leur cours normal puisque Mohamed Talbi, directeur des libertés publiques au ministère de l'Intérieur, s’est «engagé» après une rencontre avec les représentants de cette dernière «à voir de plus près ses préoccupations.» C’est dire que les pouvoirs publics ne tenaient en aucun cas à laisser perdurer la crise et ainsi permettre à la CNSL de s’acquitter de ses missions dans les meilleures conditions.
Source Infosoir Farid Houali
Le Pèlerin