«Cette expérience nous a appris qu'il ne faut rien céder en matière de droits. Ou du gaz de ville pour tout le monde ou rien du tout...»
Tous les villages de la wilaya de Tizi Ouzou continuent de galérer après deux semaines de tempête de neige. Plusieurs localités sont encore enclavées. Le manque en vivres, en électricité et gaz butane se poursuit encore. La seconde tempête de ces derniers trois jours a rajouté une autre couche aux multiples tracasseries qui ont marqué la première semaine. Malgré les efforts des pouvoirs publics pour venir en aide aux populations fortement pénalisées, les manques et les pénuries continuent d'alimenter le vide des étals. Ce n'est pas la chute interminable des flocons de neige qui alimente la colère des populations. Loin s'en faut. Elles connaissent si bien et depuis des siècles les caprices du climat nord-africain. Elles s'y sont acclimatées; bien plus, elles ont adopté un bon nombre de spécificités dans leurs traits de caractère. Ce qui alimente plutôt cette colère est incontestablement la flambée des prix des denrées alimentaires.
Au plus de la pénurie, les citoyens découvrent, médusés, que les prix ont été exagérément augmenté. «Mon Dieu! il se trouve des gens qui profitent de cet état de détresse pour augmenter les prix!», s'exclame, un citoyen dans un commerce d'alimentation à Boudjima, une localité distante de 25 km du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou. Cette situation amène les populations justement à s'interroger sur le laisser-aller des pouvoirs publics en matière de contrôle. «Mais, ces gens sont passibles de prison. Où est l'Etat? Pourquoi les laisse-t-on augmenter les prix?» s'interroge un autre citoyen. Les hausses sont en effet, aberrantes. Hier, le kilo de carotte était cédé à 70 dinars, alors que la pomme de terre arrivait sur les étals à 80 DA. «C'est des gens sauvages ceux-là», affirme un vieux à Tikobaïne. «Non, c'est les contrôleurs qui sont des brebis» réplique un autre. Jusqu'à hier donc, les populations locales avaient le sentiment d'être prises entre la rigueur de l'hiver et la rapacité des commerçants. Ces derniers, quant à eux, rejetaient toute responsabilité. «C'est aux grossistes qu'il faudra demander. Je prends toujours la même marge. Rien n'a changé pour moi» affirme un commerçant.
L'organisation ancestrale vient au secours
Si les autorités locales semblent se ressaisir ces derniers jours, ce n'est pas grâce aux moyens de l'Etat. Le constat est largement consensuel. «Ce sont les villageois qui ont ouvert toutes les routes. Nous n'avons pas attendu le matériel de la commune» raconte un jeune à Fréha. «Nous avons ouvert les routes. Un autre groupe a été affecté pour aider les travailleurs de la Sonelgaz à réparer le réseau. C'est le comité de village qui a tout organisé» affirmait un autre citoyen à Aghribs. En effet, dans tous les villages, les structures organisationnelles ancestrales se sont spontanément réveillées. Les organisations villageoises agréées se sont jointes aux efforts des autorités locales dès les premières heures. «Non, ce ne sont pas les comités de village qui se sont joints aux autorités, c'est bien le contraire» répond à notre question un jeune villageois d'Iflissen. Dans plusieurs villages, nous avons en effet constaté que ces structures se sont réveillées spontanément sans aucun agrément. «Nous n'avons pas besoin de leur agrément. D'ailleurs, ce sont les populations qui doivent donner des agréments aux autorités et non le contraire. Sans l'organisation villageoise, nous serions tous morts aujourd'hui. Les autorités sont disqualifiées» tonne un villageois qui a perdu sa maison. «Ce ne sont pas les pouvoirs publics qui m'ont secouru la nuit dernière quand mon toit est tombé sur mes enfants. C'est le comité de village qui est venu me sortir des décombres. Je ne me sens plus appartenir à un pays» affirme, tout en larmes un citoyen de Mizrana Jamais de mémoire des citoyens interrogés, la population n'a vécu un aussi terrible manque de gaz butane. Les citoyens racontent aujourd'hui un grand nombre d'aventures vécues sur les chemins des dépôts. «Nous avons intercepté quatre camions transportant du gaz qui passaient par notre village. Nous avons obligé deux chauffeurs à laisser leurs charges alors que nous avions laissé passer les deux autres. Nous avions jugé qu'il n'était pas juste que les villages de Tigzirt aient quatre camions alors que nous, nous n'avions aucune bombonne», raconte un jeune de Makouda. En effet, c'était la guerre du gaz. «Oui, nous étions au bord de plusieurs conflits entre citoyens pour le passage des camions. Nous avons été obligés d'escorter nos camions pour qu'ils ne soient pas interceptés. Dans beaucoup de cas, les bagarres ont été évitées grâce à la sagesse des comités de village» affirme un autre citoyen de Tigzirt. En effet, devant les dépôts et le centre d'enfutage de Fréha, ce ne sont pas des villageois qui venaient, c'était plutôt des membres des comités de villages. «C'est la tâche qui m'a été assignée par notre comité. Les autres jeunes sont maintenant en train d'ouvrir les routes», explique un jeune rencontré dans la chaîne à Fréha.
L'interminable cauchemar du gaz
Dans ce climat chaotique, un phénomène attire l'attention: la solidarité des populations n'a rien perdu de sa dynamique. A Fréha, les villageois sont venus à la rescousse des gens qui attendaient des jours durant dans la chaîne. Les riverains amenaient des plats de couscous aux gens pris dans la chaîne et qui grelottaient dans le froid. «ça fait vraiment chaud au coeur le geste de ces villageois. Ils nous ont offert à manger du couscous à la viande. La nuit on nous sert du thé, du café et des gâteaux. La même chose le matin. Sans ces gens-là, je serais mort de froid. Je suis dans la chaîne depuis avant-hier. Je les remercie du fond du coeur» raconte un jeune venu de Boumerdès à Fréha en quête d'une bonbonne de gaz.
«Dorénavant, nous saurons à quoi nous en tenir. Nous serons sans pitié avec les élus», promet ce jeune d'Afir, dans la commune de Boudjima. En effet, l'avis général à travers les régions touchées converge vers la nécessité de revoir les relations avec les autorités. Les gens n'ont pas digéré le retard pris pour leur venir en aide. «A l'avenir, être responsable de quelque chose sera un enfer. Cette expérience nous a appris qu'il ne faut rien céder en matière de droits. Dans mon village, nous allons commencer par le gaz de ville. Ou bien tous les villages seront raccordés ou bien il n'y aura rien du tout. Quitte à tout brûler. Celui qui ne peut pas être responsable qu'il cède sa place» affirme un autre à Boudjima. «Ils nous ont fait vivre l'enfer, nous leur promettons l'enfer», conclut-il.-Source L’Expression Kamel Boudjadi
Le Pèlerin