Algérie - Dans un douar oublié des Aurés, bastion de la révolution : «C’est pour quand l’indépendance !?»
Il gèle à pierre fondre. On a de la peine à croire qu’il fasse si froid à la mi-mars mais le thermomètre de la voiture indique moins 4 degrés ne nous laisse aucun doute. Bien que Rahmani Amor et son fils Abdelmalek grelottent sous leur kachabia, ils sont ponctuels au rendez-vous que l’on s’était fixé la veille à Tanfite, une petite mechta perdue dans les Aurès. Reportage.
Il va donc falloir se résoudre à quitter la douce chaleur qui règne dans l’automobile pour affronter le froid mordant du dehors.
La route secondaire, qui va de Rhaouet au chef lieu de la commune de Ouled Aouf, en passant au pied du mont Ich Ojouref, a désenclavé quelque peu la région, mais la rudesse du climat et le relief accidenté font encore de Tanfite un trou perdu.
Amor et son fils nous apprennent que cela fait deux jours qu’ils déblaient la neige qui s’est accumulée sur leur toit. Ce n’est qu’en fin d’après-midi qu’ils ont terminé la besogne.
Ils nous invitent à rentrer dans leur modeste chaumière pour déguster un café bien chaud et bavarder autour du feu de bois qui crépite dans la cheminée.
S’ils reconnaissent volontiers que les conditions de vie sont moins pénibles depuis la réalisation de la route, ils admettent tout aussi volontiers qu’il reste beaucoup à faire. Et cela ne relève ni du privilège ni du luxe.
Le chef de famille parle avec beaucoup de nostalgie de cette époque où hommes et femmes se sont sacrifiés pour le pays : « Durant la guerre de libération, nous avons donné le meilleur de nous-mêmes, dit-il. J’avais ici même cachés des moudjahidine au nombre de 17 dans une casemate que j’ai creusé de mes mains et qui existe encore. Durant la guerre de libération, entre 1958 et 59, toute la région était un refuge pour l’armée de libération nationale. Les habitants des différentes mechtas peuvent en témoigner. »
L’hostilité de la nature et la rudesse du climat en hiver se lisent partout. Devant toutes les chaumières de Tanfite, des tas de bois sec témoignent qu’ici l’on se chauffe comme au temps jadis.
Les habitants ont pour habitude de stocker le bois pour l’hiver mais quand celui-ci est rude, ils sont souvent pris au dépourvu. « Janvier peut cacher de mauvaises surprises », nous dit en connaisseur Abdel Malek.
L’éloignement de la petite salle de soin, qui se trouve à plus de 10 km, est un autre problème péniblement vécu par les habitants. En cas d’urgence, il n’existe aucun moyen de transport hormis les quelques véhicules des habitants du douar. Pour peu qu’ils soient libres, disponibles et acceptent de faire la course.
La famille Rahmani ne possède pas de voiture. Le père autant que le fils vivent de ce que leurs rapportent le travail de la terre. Pas de travail qui garantit un salaire mensuel.
Dans l’unique chambre chauffée, autour d’un café à l’armoise, (une spécialité chaouie), Abdelmalek en a encore gros sur le cœur.
La liste des difficultés que lui est sa famille, comme tous les autres habitants de la mechta, rencontrent, est aussi longue qu’un jour sans pain.
Alors Abdelmalek donne libre cours à sa colère : « Les responsables ne viennent jamais demander après nous. Pourtant ils disent qu'ils nous représentent. Je vous donne un exemple simple et risible à la fois : dehors il y a un poteau électrique de l’éclairage rural. Cela fait 3 ans que la lampe est grillée et cela fait 3 ans que nous demandons, que cette lampe soit remplacée. »
La colère est encore forte quand il s'agit des responsables. « Mais personne ne nous écoute et pourtant nous ne demandons pas grand-chose, explique encore Abdel Malek. Pour la scolarisation des petits, nous travaillons dur pour que nous puissions leur trouver des correspondants pour les héberger à Ain Touta et leur permettre ainsi d’avoir une scolarité normale. Je ne vous parle pas du médecin qui vient de Kenziria, à 10 km d’ici, quand il veut. De l’eau que nous tirons du puits par moins 7 degré…»
De la colère mais également un sentiment d’injustice et d’impuissance. Abdelmalek s’excuse et ne dit plus rien mais son silence est encore plus éloquent.
Ils sont nombreux à avoir résisté aux lumières de la ville, mais aussi aux années noires du terrorisme. Ils ont préféré rester chez eux sur leurs terres, la terre des ancêtres combien même infécondes et ingrate, au lieu d’aller gonfler les rangs de chômeurs et des désœuvrés.
Rien que pour cela, ils méritent un peu d’attention et quelques faveurs car ils ont été toujours défavorisés. Nous ne le dirons jamais assez.
Source DNA Syphax
Le Pèlerin