Aller au charbon ou subir l’explosion
Les Algériens continuent de protester et le front social montre des signes de bouillonnement.
Après une gestation de quatre mois, le pouvoir a fini par accoucher de son rejeton gouvernemental. Les analyses vont bon train pour essayer de deviner qui est derrière le choix du Premier ministre et de chaque membre de son équipe. Certains affirment que le clan présidentiel est bien amoindri avec le départ des proches du Président, comme Belkhadem, Temmar, Zerhouni et Ould Abbès. Et d’argumenter qu’un autre centre décisionnel, l’armée en l’occurrence, a eu largement son mot à dire dans cette nouvelle configuration de l’Exécutif. D’autres estiment par contre qu’il ne s’agit que d’une manœuvre de plus de Bouteflika chargeant la nouvelle équipe dont le Premier ministre sans casquette… politique de mener à bien les préparatifs de la prochaine élection présidentielle prévue dans 18 mois. Une autre analyse soutient que la composante du gouvernement reflète une volonté du pouvoir, toutes tendances confondues, de vendre l’idée d’un vrai-faux changement afin de rassurer en cette rentrée sociale d’épouvantable augure, d’où, dit-on, le «sacrifice» de Belkhadem, Ouyahia, Benbouzid, Ould Abbès sur l’autel de la répulsion et révulsion populaire. Certains par contre estiment que c’est le contexte explosif qui dicte l’éviction de quelques têtes et l’arrivée d’autres, en argumentant que le pouvoir a fini par prendre la vraie mesure de la catastrophe économique et l’anarchie dans lesquelles baigne l’Algérie.
Mais au-delà des supputations des uns et des analyses des autres, la nature du régime, complètement opaque et rompu à l’art de la diversion et autres manœuvres dilatoires, pousse à garder la tête froide et à s’accrocher à la lucidité et éviter de céder à l’euphorie, comme l’exige la situation actuelle tant elle est sérieusement inquiétante. Un tableau noir s’affiche dans le viseur de tout observateur et expert connaisseur de l’Algérie. Avec un taux de chômage effarant dépassant, selon des statistiques non officielles, plus de 20%, une inflation frôlant des niveaux assommants, atteignant 7,3% officiellement et même 15% de taux réel, il y a de quoi blâmer le gouvernement sortant et s’interroger sur les capacités de l’actuel Exécutif à redresser la barre. Le trop long été de cette année a mis à nu la gestion honteusement hasardeuse des affaires du pays. Les Algériens ont été livrés à l’embrasure d’un feu venant de toutes parts.
Un été particulièrement brûlant, au sens propre et figuré, a vu les Algériens dépourvus d’eau, d’électricité et livrés aux flammes de la mercuriale mais aussi à celles des incendies qui ravageaient sous leurs yeux, impuissants, des années de labeur.
Tableau noir
Les subventions des produits alimentaires et les généreuses dépenses de l’argent public qui avaient permis au pouvoir d’avoir un moment de répit l’année dernière, ne sont plus un paravent aussi fiable.
Le coût de la paix sociale est en nette progression sur le marché de la colère populaire. Les Algériens continuent de protester et le front social lance des signes de bouillonnement. Des routes continuent d’être fermées, des pneus brûlés, des jeunes de s’immoler et des grèves de s’annoncer. Des attaques sporadiques de bandes criminelles et gangsters en tous genres, opérant en plein jour et dans les artères des grandes villes terrorisant les populations, ont levé le voile sur une politique sécuritaire nonchalante. Pas faute d’effectifs policiers ou autres appareils de sécurité, occupés sont-ils à violer et opprimer les libertés plutôt qu’à sécuriser les citoyens.
Sans compter un appareil économique bloqué et sans vision claire et une menace de déstabilisation qui s’échappe du conflit malien et d’autres poches de troubles dans le voisinage. Telle est une liste non exhaustive des problèmes auxquels la nouvelle ancienne équipe gouvernementale devra faire face. Le Premier ministre avoue avoir «du pain sur la planche», mais a-t-il les coudées franches et le temps de répondre aux attentes des Algériens ? Abdelmalek Sellal dit s’atteler à «nettoyer» et donner son «vrai mérite à l’Algérie», mais l’on est en droit de nous interroger est-ce que cela sera possible, puisqu’il affirme appliquer le programme du Président, ce même programme dont tous les chefs de gouvernement depuis 1999 disaient puiser leurs actions, en sachant que le fait du prince est la seule logique de gouvernance en Algérie.
Tout se fait selon la volonté et le désir du Président ! Est-ce aussi rassurant de refaire appel à des ministres dont les noms sont cités dans des affaires de corruption ? Le relooking opéré sur le gouvernement ne peut avoir de sens que si l’Algérien pourra voir l’expression réelle d’une volonté de redresser la situation actuelle et lui donner espoir qu’il est permis d’accéder à une nouvelle ère. Mais si la même logique de gagner du temps en pensant à la seule échéance de 2014 primera sur la présentation de réelles réponses aux attentes des Algériens, on ne pourra donner cher de la paix.
La situation est évidemment explosive et nécessite des réponses rapides et efficaces, sinon ce sera dégoupiller une bombe sociale dont l’explosion aura des conséquences incalculables.
Source El Watan Nadjia Bouaricha
Le Pèlerin