Images d'une Algérie vulnérable
Une neige à laquelle ne peuvent faire face ni la solidarité citoyenne, ni les milliers d'hommes de la Protection civile, de la police et de la gendarmerie nationale, ni même d'ailleurs les blindés de l'Armée Nationale.
Du jamais vu, rappellent toutes les langues ! Du moins pas aussi intensément dans l'Algérie indépendante. Les images enregistrées ici et là reflètent à quel point nous sommes vulnérables et exposés aux aléas de la nature. Isolement, accidents, asphyxie, pénuries, sont les mots qui reviennent depuis le premier flocon de neige que l'Algérie a reçu un vendredi 3 février. Mais aussi coupures. Coupures de routes, d'électricité, de gaz, d'eau… Aussi abandon ! Et, pis encore, affaires en pleine crise. Comprenne qui pourra !
Si le spectacle a eu bien lieu et continue d'ailleurs, il est loin d'être gratuit. Déjà, une trentaine de personnes ont trouvé la mort, et la liste n'est malheureusement pas encore close. Depuis le trois de ce mois, nous assistons à ces coupures qui ont contraint -une image parmi d'autres- une femme à accoucher dans un établissement primaire. Ces coupures -encore des images navrantes- qui privent les foyers d'un peu de chaleur, d'un peu de lumière, qui privent les citoyens de nourriture, premier besoin biologique. Encore des images : ce vieux qui a parcouru 10 kilomètres à pied à la recherche d'une bouteille de gaz butane, cette femme qui tente de chauffer une chaumière à l'aide des vêtements des ses enfants, car aucune bûche à offrir aux flammes, cette autre femme qui, une pioche à la main, fouine sous la neige, à la recherche de racines et d'herbes comestibles, ce malade qui attend, dans un lit, la providence, ces enfants qui grelottent de froid, comme des feuilles d'arbres; ce père de famille qui, se rendant chez-lui, voit son véhicule renversé à cause du verglas, ces fils électriques qui tombent tels des feuilles mortes en automne, ces villages et villes, bel et bien, isolés complètement…
Electricité, eau, gaz, ces raretés
Ils partent au moment même où nous en avons grand besoin ! Au froid polaire, s'ajoute la rareté de l'électricité, mais aussi de gaz, et de l'eau. En Kabylie, la région qui souffre le plus d'isolement, mais aussi ailleurs, des localités passeront des nuits et des nuits dans un noir affreux, parfois sans même de bougies. Pour les vieux c'est un voyage dans le passé, exactement à l'ère coloniale ou la privation allait comme un gang aux Algériens. Et Après 50 ans, c'est le grand retour ! Et ce gaz dans le pays de gaz ? Encore une image : c'est à Bejaia, exactement à éni Maouche à 1000m d'altitude. Une queue de quelque 300 personnes s'est formée attendant l'arrivée promise de gaz butane. Un camion arrive. Il ne transporte qu'une vingtaine de bombonnes. Craignant une émeute, le chauffeur décide de rebrousser chemin... et le froid continue.
On n'est pas, ça va sans dire, bien équipé pour ce genre de situations si critiques. Mais des questions s'invitent d'elles-mêmes : qu'avons-nous fait pour construire convenablement ? Comment avons-nous mis en place nos réseaux routiers, d'électricité, d'eau, de gaz de ville, de distribution, de commercialisation… ? La neige est de ce côté la bienvenue, puisqu'elle nous a rappelé, avec malheur certes, les tares de nos villes, de nos constructions, de nos ouvrages… Même d'ailleurs le projet du siècle n'a pas échappé à la règle de " faire vite, peu importe les règles minimales de sécurité ".
Le malheur des uns fait le bonheur des autres
Chacun de ceux qui ont vécu et qui vivent les affres de ces intempéries aura une histoire, qui mettra en cause notre résistance, à raconter. La pomme de terre a atteint un prix record de 120 Da et la bonbonne de gaz sera vendue au prix pharaonique de 2 000 Da. L'équation est si simple : c'est comme dans le match d'une finale, on achète les billets pour leur prix réels et on les revend, à la veille de la rencontre, trois fois ou quatre fois plus chers, sauf qu'une bonbonne de gaz n'est pas une affaire de distraction, mais parfois de survie. Des opportunistes achètent des bonbonnes et les cèdent à huit fois leurs prix : une autre image d'une Algérie blessée. Des gens sans scrupules, dites-vous ? En tous cas, cela reflète aussi un autre côté de notre vulnérabilité. Les images, à vrai dire, sont innombrables et toutes nous rappellent la manière dont a été construit ce pays: ''Douga-douga''ici; hâtivement là.
Hamid Fekhart