Retour sur Beni Ilmane - Quand le séisme révèle la précarité sociale
Désemparées, ne sachant plus à quel saint se vouer, tant les aides tardent à leur parvenir et les autorités locales semblent dépassées, des centaines de familles de Beni Ilmane, dans la wilaya de M'sila
Sérieusement secouée et partiellement «détruite» par le tremblement de terre d'une magnitude assez forte de 5,2 survenu lundi, continuent de passer la nuit à la belle étoile, dans le froid connu des Hauts Plateaux et sous une pluie au rendez-vous, comme pour accentuer les peines de ces familles, démunies pour la plupart.
En attendant que «les choses redeviennent comme avant», la maîtrise de la situation est loin d'être assurée, contrairement à ce qu'affirment les responsables locaux dont on ne peut nier l'engagement et la volonté, ce sont l'impatience, la colère, la peur, les pleurs et, par-dessus tout, l'anarchie qui s'installent. Constat. A notre arrivée sur les lieux du drame qui a causé la mort de deux personnes et des blessures à 25 autres, selon le bilan officiel, samedi après-midi, le constat est saisissant. L'électricité est dans l'air.
La colère est à son paroxysme. Environ 2000 personnes assiègent le stade communal, où est installée la base logistique chargée d'organiser les secours et de distribuer les tentes, les couvertures et les autres dons en natures, parvenus au village. Une anarchie indescriptible y règne. Les deux portails du «centre logistique» étaient fermés.
Les citoyens eux, excédés, se sentant lésés, crient à la hogra. Certains d'entre eux jettent des pierre en direction du stade, d'autres escaladent les murs, vocifèrent et profèrent parfois des obscénités envers les responsables et les services de sécurité, cloîtrés à l'intérieur. Renseignement pris, des tentes allaient être distribuées, mais rien ne fut.
La colère est d'autant plus grande que le nombre de tentes à distribuer est en deçà des attentes. Une centaine seulement ont été distribuées, «en cachette», affirment les citoyens, et 150 autres attendent d'être livrées pour une population dépassant les 10 000 habitants, avons-nous appris auprès du poste de commandement de la Protection civile, installé à côté de la polyclinique sérieusement touchée par le séisme.
«Depuis vendredi, toutes les familles de Beni Ilmane passent leurs nuits dehors, alors que les quelques tentes distribuées ne l'ont pas été pour les nécessiteux», jure un citoyen, les larmes aux yeux, qui a tenu à nous faire visiter le quartier Mohamed Boudiaf, l'un des plus touchés par la secousse. Il dira qu'aucune tente n'est installée dans son quartier, affirmant que c'est la nuit que les autorités locales, absentes sur les lieux à notre arrivée, procédaient à la distribution des tentes et des couvertures. «Et l'on affirme, toute honte bue, que la situation est maîtrisée», se désole un autre citoyen.
«On veut des tentes»
Ce qui ajoute à la détresse et à la peur des populations, qui refusent de rejoindre leurs domiciles, fera remarquer le commandant de la Protection civile, ce sont surtout les répliques, au nombre de 22, affirme-t-il, dont une a atteint près de 4 degrés. «On veut des tentes. On n'a plus où loger», criera un autre jeune.
La visite dans la matinée du ministre de la Solidarité nationale, Djamal Ould Abbas et du ministre délégué chargé des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, n'a fait, tout compte fait, qu'exacerber la situation. «C'est honteux, au lieu d'une caravane, nos ministres se sont déplacés les mains vides», peste cet autre villageois, qui exhibe sa carte nationale d'identité en faisant semblant de la déchirer. «On ne nous considère plus algériens, on va brûler nos cartes d'identité», ajoute-t-il avec dépit, appelant les autres citoyens qui nous ont entourés entre temps à quitter les lieux.
On n'a pas besoin de leur aide», leur dit-il, se désolant que l'on fasse face à la colère justifiée des citoyens par des brigades anti-émeute. En plus, ils nous considèrent désormais comme des sauvages», ironise-t-il. «C'est grâce à l'aide des populations voisines du village Ouanougha notamment que nous avons pu survivre», raconte ce jeune père de famille, qui affirme qu'aucune aide en nature n'est parvenue à la population.
Mort d'un bébé de 6 mois transi de froid
Un autre citoyen révèle en criant : «Ya Rebbi (mon Dieu), il y aura encore des morts. Ce matin, un bébé de 6 mois a trouvé la mort dans les bras de sa mère, transi de froid.» C'est à ce moment là, dans un climat d'inquiétude, mêlé de colère des citoyens, qui risquait de se transformer en émeute, que nous avons décidé de faire une virée dans les quartiers sévèrement touchés, Haï Boudiaf notamment, avant que la nuit ne tombe. Des tentes de fortune sont installées ici et là, devant les bâtisses encore solides, des murs lézardés, d'autres écroulés, les stigmates du séisme sont encore vivaces. Un père de famille s'apprêtait à aménager une benne d'un tracteur pour la nuit.
«C'est pour la vieille et les enfants», di-t-il d'une voix presque sourde. Tout autre matériel ou engin, voiture, «bulldozer» et autre susceptible d'être transformé en abri est exploité. La population est désorientée. Déprimée. Les autorités locales ainsi que la cellule de crise installée le jour même du séisme n'ont pourtant pas lésiné sur les moyens, d'après les renseignements recueillis auprès de la Protection civile, actrice à sa façon dans le dispositif mis en place.
«La prise en charge des blessés, comme vous le constatez, est permanente», nous raconte le commandant de la Protection civile que nous avons rencontré à l'intérieur du poste de commandement opérationnel. Pour lui, l'intervention s'est faite dès les premières heures avec l'implication de toutes les autorités locales, le wali en tête. Les blessés ont tous été transférés vers d'autres structures de soins dotées de matériel, à Sidi Aïssa et à M'sila, a-t-il confirmé, avant de révéler qu'ils sont tous rentrés chez eux.
S'agissant de l'anarchie qui règne au niveau du stade, notre interlocuteur demeure confiant. «La base logistique est chargée de désigner les quartiers destinataires des tentes, couvertures et autres dons en nature», dit-il, affirmant que le travail qui se fait aussi bien par le module de recasement, composé des élus locaux, du Croissant-Rouge algérien et des Scouts musulmans algériens (SMA), agit de façon méthodique.
Il avoue toutefois que les opérations nécessiteront du temps. «Le citoyen s'impatiente», fait-il remarquer non sans indiquer qu'il appartient aux services du CTC, déjà sur le terrain, de définir et de recenser les bâtisses touchées. Beaucoup de maisons sont en effet inhabitables, d'autres sérieusement endommagées.
Le bilan officiel contesté
Alors que le bilan fait état de 200 habitations, la population parle du double. «Ils se trompent dans leurs calculs», affirme cet autre citoyen visiblement au fait de la détresse dont il est lui-même victime. «Ils auraient dû d'abord distribuer des tentes et la population se calmera de fait», dit-il, avant d'ajouter : «Ils auront toute la latitude après de faire le reste du travail dans de bonnes conditions et bénéficieront même de la confiance du citoyen.»
Dans la commune de Ouannougha, moins touchée mais qui a enregistré une vingtaine de maisons inhabitables tout de même et d'importants dégâts matériels, c'est aussi le désarroi. Alors que le P/APC, Saker Mohamed Saïd, affirme qu'il y a un suivi permanent à travers la cellule de crise qui fait des inspections sur le terrain et les services de l'APC qui ont enregistré 1010 déclarations de citoyens affirmant être victime du séisme.
Ces derniers dont nous avons rencontré quelques-uns sont sceptiques. «Jusqu'à présent, aucun responsable ne nous a rendu visite», affirme le président de l'association pour la promotion rurale du douar Sidi Aïssa. Il faut dire aussi que la majeure partie des maisons touchées sont celles classées habitat précaire. Le P/APC de Ouannougha nous a confié par ailleurs que Ould Abbas a promis un quota à toute la région dans le cadre du programme présidentiel de la résorption de l'habitat précaire (RPH). En attendant, le calme n'est pas encore revenu.
Source Le Temps Saïd Mekla
Le Pèlerin