Malgré discours et promesses, il peine à décoller
Indifférence - Les Algériens ne se déplacent pas beaucoup à travers le territoire national. Des milliers de citoyens ne savent même pas où certaines localités du pays sont situées et même les sites touristiques sont méconnus.
Le désintérêt quasi total à l’encontre du potentiel touristique, pourtant riche et varié, ne fait que s’accentuer ces dernières années en dépit de l’amélioration des conditions sécuritaires qui devait amener à réanimer le tourisme local. La jeune génération accorde beaucoup plus d’importance aux «villes de rêves» sises en Europe ou en Amérique et les connaissent mieux que des villes algériennes. Si on interroge un jeune Algérien à propos de Paris, de Londres, de Rome, de l’Etat du Texas…, il pourra donner tous les détails et spécificités de ces villes, même si elles sont à des milliers de kilomètres et que des océans les séparent du pays et où ils n’ont jamais mis les pieds. Quant aux régions situées à quelques encablures de leurs lieux d’habitation, ils sont incapables de donner la moindre indication. A l’exception des lieux les plus médiatisés, soit pour leur statut d’attraction touristique ou par rapport à des événements heureux ou malheureux qui s’y sont déroulés, la plupart des localités restent ainsi méconnues d’une grande partie d’Algériens. Pis encore, on se souvient du nom, mais on ne sait même pas de quel côté est situé la localité en question. Les habitants des grandes villes sont les plus touchés par cette «ignorance géographique». Pour ces derniers, rien ne les contraint de «sortir», puisque tous les moyens de vie existent dans la ville où ils demeurent. Depuis leur enfance, ils trouvent tout ce dont ils ont besoin : l’école, l’université, les centres de formation et le lieu de travail à côté. «A quoi me servirait-il d’aller à Tébessa, Tlemcen, Oran où d’autres wilayas ? Si c’est pour gaspiller de l’argent, nous préférons faire des économies pendant quelques années pour aller visiter une des grandes villes du monde. Et puis rien ne nous manque ici, et connaître les autres régions du pays ou non c’est pareil», répond, à l’unanimité, un groupe d’étudiants. La culture du tourisme local est totalement absente chez ces jeunes. «Les rares excursions que nous organisons n’intéressent pas les étudiants vivant à Alger. Ce sont plutôt ceux qui viennent de l’intérieur du pays qui y prennent part», affirme un membre d’une organisations estudiantine. La donne est la même chez les habitants des autres grandes métropoles telles que Annaba, Oran, Constantine, Sétif, etc. Il est rare, en effet, d’entendre des jeunes discuter à propos des différentes régions et même les articles de presse ou les reportages télévisés traitant des potentialités touristiques de certaines localités n’attirent pas leur attention. Il semble que le pragmatisme a pris les dessus sur les loisirs, tant ces jeunes se disent prêts à se déplacer s’il s’agit uniquement de décrocher un poste d’emploi à une importante rémunération ou pour faire du commerce.
Une époque révolue
Disparition - Créer des liens d’amitié entre habitants de différentes régions du pays n’intéresse plus qu’une infime partie d’Algériens.
Il n’y a pas si longtemps, les Algériens accordaient une grande importance à faire des connaissances avec des concitoyens habitant dans d’autres régions du pays et échangeaient des visites. Certains publiaient des annonces dans des journaux faisant état de leur désir d’avoir des amis, d’autres répondaient, le contact s’établissait généralement par le biais de la correspondance. Après l’échange de quelques lettres, les intéressés se rencontraient et l’échange de visites commençait, créant des liens qui, en général, perduraient dans le temps. «Dans les années 1990, les journaux qui publiaient ce genre d’annonces se vendaient comme des petits pains. Des citoyens, tous âge et sexe confondus, s’intéressaient à faire connaissance avec d’autres», affirme un buraliste à Tizi Ouzou. L’insécurité qui régnait à l’époque n’avait pas eu raison de la volonté des citoyens à se déplacer dans différentes régions. Ceux qui ont vécu cette expérience, en gardent de beaux souvenirs. Omar, la cinquantaine, originaire de Berrouaghia ( Médéa) en sait quelque chose. «C’était la belle époque. J’avais des amis à l’est, l’ouest et au sud du pays. J’ai pratiquement fait le tour du pays grâce à des amis habitant dans différentes localités. C’était très simple, je rendais visite à des gens que j’avais connus par le biais d’annonces et je les recevais chez moi avec un énorme plaisir. La chaleur avec laquelle j’étais accueilli est inoubliable», se rappelle ce cadre dans une banque étrangère à Alger. «Parfois, des amis me payaient même les frais du transport pour retourner à Berrouaghia. On s’échangeait des articles d’artisanat en guise de cadeaux. Je garde aussi toutes les photos et aujourd’hui, avec la disponibilité du téléphone, le contact est devenu plus facile avec mes amis», se réjouit-il. «A l’époque, c’était une fierté de connaître les différentes régions du pays. Et comme nous ne pouvions pas assumer financièrement les frais d’hôtellerie et de restauration, le seul moyen était de nous faire des amis et d’échanger des visites», affirme Rachid, la quarantaine, actuellement enseignant à l’université Ferhat-Abbas de Sétif. Aujourd’hui, regrette-t-il, «cette culture de connaissances et de voyage à l’intérieur du pays est malheureusement inexistante. Les gens ne se rendent pas compte de la beauté de leur pays. Même pour les vacances, ils préfèrent aller dans des pays voisins auxquels l’Algérie n’a rien à envier pour ce qui est des potentialités touristiques, bien au contraire», déplore notre interlocuteur. Pourtant, de nos jours les moyens de communication sont très développés avec Internet et le téléphone mobile. Ce qui aurait dû renforcer davantage cette culture du contact et d’établissement de liens. Toutefois, les gens sont plutôt branchés vers l’étranger. Et les Algériens continuent de méconnaître les atouts de leur pays. Se déplacer volontairement dans le pays pour la découverte et la détente constitue leur dernier souci.
Les infrastructures font défaut
Réalité - L’attitude des Algériens qui rechignent à se déplacer à travers le pays, est également due au manque d’infrastructures touristiques et à la cherté des produits touristiques proposés par les rares structures existantes.
Les plans d’investissement entamés ces dernières années dans le cadre du Schéma directeur de l'aménagement touristique (SDAT 2030) n’ont pas encore abouti à impulser la dynamique attendue. Et les investisseurs privés qui ont annoncé leur intention d’exercer dans ce créneau, se trouvent, malheureusement, confrontés aux lenteurs administratives. Aujourd’hui, passer quelques jours dans une localité du sud, de l’est ou l’ouest du pays coûte très cher, ce qui n’arrange pas les affaires d’une grande partie de citoyens dont le pouvoir d’achat ne cesse de se dégrader. Et même ceux ayant les moyens financiers se trouvent confrontés à l’absence de structures d’accueil. Notre pays recèle des atouts impressionnants et pourrait être la première destination touristique en Afrique au vu de la diversité de ses potentialités, si les projets annoncés se réalisent dans les meilleurs délais. Des Algériens attendent et espèrent que les discours prometteurs seront concrétisés, de façon à leur permettre de jouir de la beauté exceptionnelle de leur pays. «Moi, je suis un amateur du tourisme thermal, j’aimerais bien emmener ma famille, quelques jours dans les hammams, de différentes régions. Mais le manque d’infrastructures d’accueil et la cherté des séjours m’en empêchent. Figurez-vous qu’un séjour d’une semaine à Guelma, réputée pour sa richesse thermale, m’a coûté près de 30 000 dinars. Tout est cher et rien n’est fait pour rendre ces lieux touristiques accessibles à toutes les catégories sociales», regrette Slimane, la cinquantaine. Notre interlocuteur n’est pas le seul à déplorer le manque de moyens qui devrait accompagner l’activité touristique en Algérie. «J’ai des amis et de la famille dans plusieurs régions du pays, mais je ne peux pas passer plus d’une nuit chez eux. Lorsque je voyage, je veux profiter pleinement de mon séjour et sans aucune pression. Malheureusement, les infrastructures font cruellement défaut», déplore, pour sa part, Tarek, la quarantaine, qui dit avoir parcouru plusieurs localités. «Quand j’étais célibataire, je me débrouillais. Des fois, je passais même la nuit à la belle étoile, mais aujourd’hui je ne peux me permettre cela car je dois aussi prendre ma femme et mes deux enfants avec moi. C’est vraiment regrettable qu’un pays comme le nôtre ne dispose pas de moyens», regrette notre interlocuteur. Certains citoyens optent pour les séjours organisés par les agences de voyages pour se mettre à l’abri des problèmes, même si cela leur coûte cher. «Avec les agences de voyages, nous sommes sûrs de trouver où passer la nuit tranquillement. Et puis pour le déplacement chacun est libre de faire ce qui lui plaît. Mais avec les prix proposés par ces agences, un simple fonctionnaire ne peut se permettre ce luxe», affirment nos interlocuteurs. C’est dire que lorsque les moyens font défaut, la volonté ne sert pas à grand-chose…
En été, ça bouge
La saison estivale constitue l’exception en matière d’animation touristique. Des centaines de milliers d’Algériens envahissent les régions côtières du pays en quête de fraîcheur. Les différentes plages sont prises d’assaut par les estivants, aussi bien en famille qu’en groupes d’amis. Mais là aussi, les infrastructures hôtelières s’avèrent insuffisantes pour accueillir tout ce beau monde. Les habitants des régions de l’intérieur et du sud du pays qui ont des familles dans les villes côtières viennent y passer quelques jours. Les familles les mieux loties réservent des chambres dans des hôtels pour ne pas encombrer les «autres». Mais avec les coûts excessifs pratiqués par ces structures, certaines familles préfèrent opter pour les pays voisins (le Maroc ou la Tunisie). «Les prix appliqués dans les hôtels dans notre pays ne sont pas du tout compatibles avec le service offert. C’est pour cette raison que nous passons nos vacances en Tunisie. Pour une somme de 40 000 à 50 000 dinars, nous nous permettons de passer deux semaines de bonnes vacances, alors qu’en Algérie, on dépense plus que cela, mais nous n’avons pas le même service. Beaucoup reste à faire pour encourager les Algériens à passer leurs vacances au pays», regrette un groupe d’amis «navrés» par la situation du secteur du tourisme qui les prive de découvrir leur pays. Les Algériens résidant à l’étranger en sont également victimes. Généralement, ils viennent passer quelques jours avec leurs familles ici en Algérie et puis «fuient» au Maroc ou en Tunisie pour les vacances.
Pour la découverte
L’activité culturelle est, sans nul doute, un moyen de faire connaître la beauté et les traditions de différentes localités du pays. Des festivals, à l’instar de Timgad (Batna), Djamila (Sétif), festival du Rai ( Sidi Bel Abbes)…, attirent de plus en plus de citoyens venus de diverses régions. Une opportunité pour assister aux galas artistiques, mais aussi pour connaître la wilaya où sont organisés ces festivals. Les semaines culturelles constituent aussi une occasion pour chaque région de «montrer ses atouts». D’ailleurs, ces activités suscitent un engouement particulier. Il y a aussi les fêtes de l’artisanat (comme celle du tapis, du couscous…), les waâdas abritées par différentes régions, créent aussi une animation touristique. Toutefois, le problème du manque d’infrastructures revient toujours avec acuité et des milliers de citoyens désirant faire le déplacement se trouvent contraints de faire marche arrière. Les Algériens connaissent mal leur pays, et la plupart de ceux qui affirment le contraire, n’en ont que des informations «théoriques» en réalité.
Source Infosoir Mohammed Fawzi.
Le Pèlerin