La gastronomie est un facteur d'identitaire et culturel.
Il est même possible de parler d'un art de la table qui témoigne d'un génie humain qui culmine dans le sens du beau. La cuisine algérienne, connue pour sa diversité et son raffinement, est également un socle de traditions séculaires qui ont résisté aux épreuves du temps. Mais ces dernières années ont déterminé, notamment chez les nouvelles générations une forte prédilection pour la cuisine rapide au détriment des plats aux valeurs nutritives établies de longue date moins porteuses de risques pour la santé qu'un sandwich pris sur le pouce. L'art de la table, cest manger et boire aussi. Et à cet égard, si les nutritionnistes sont unanimes à mettre en garde contre l'abus des boissons gazeuses, surtout chez les jeunes populations, un véritable phénomène s'est incrusté dans les habitudes culinaires de nombre d'Algériens. Il s'agit de la vague envahissante des "cherbettes", ces boissons réputées être rafraichissantes et qui sont particulièrement prisées par les jeûneurs durant la période du ramadhan. Les "cherbettes" semblent rencontrer un immense succès et devenir inséparables dans les menus de beaucoup d'Algériens. Servis dans des sachets dits de congélation en guise de conditionnement, ces boissons ne comportent ni indication de fabrication ni information sur leur teneur. Elles sont vendues à la criée, et à l'emporte-pièce. Ces jus offrent aux regards, une palette de coloris dont il est difficile de déterminer la nature et l'origine. Le constat le plus probant est que ces boissons sont plébiscitées par des consommateurs peu regardants aux incidences que peut avoir sur leur santé cette "cherbette" venue de nulle part. Le plus important est, pour ces consommateurs indifférents, d'étancher leur soif. Les traditions, au demeurant familiales, se perdent. Oubliées, les recettes de nos grand-mères qui avec un citron, deux oranges, ou trois pamplemousses, préparaient des boissons désaltérantes pour toute la maisonnée. Et c'était garanti produit naturel. De l'eau plate, des fruits, et juste ce qu'il fallait de sucre. Quelques gouttes de fleurs d'oranger en relevaient, ou corsaient, le goût. Rien d'étonnant dans un plat réputé pour ses agrumes. Rien à voir avec le cocktail de produits chimiques qui sont quotidiennement consommés sans le plus élémentaire devoir de précaution. C'est un problème évident de santé publique. Mais il a une inconstestable dimension culturelle, car à travers ces pratiques ce sont des traditions, tout un terroir, qui sont en perdition. L'on assiste à un dérèglement des normes culinaires et alimentaires mises en péril par l'essor du manger rapide et du vite boire. C'est une forme de régression culturelle que cette consécration d'une boisson qui ne contient ni fruits ni vitamines mais reste de l'eau colorée avec on ne sait quel édulcorant chimique. C'est aussi la faillite d'une culture alimentaire en perte de ses repères, toute une esthétique des saveurs et des goûts qui se dissipe au bénéfice de ce qu'il est improprement convenu d'appeler, la civilisation du fast-food. C'est donc une autre façon de voir la vie et de se comporter, dans laquelle l'individu est soumis à des codes alimentaires qui contribuent à le dépersonnaliser. Dans ces conditions, il n'est même pas possible de parler de plaisirs de la table tant manger et boire tendent à devenir des corvées dont il faut se débarasser au plus vite. Au péril quelques fois de sa vie.
Source Les Débats Djamel Eddine Merdaci
Le Pèlerin