Une crise de confiance durable s’installe
La crise de confiance entre le peuple tunisien et le gouvernement transitoire s’installe dans la durée. Hier encore, des manifestants sont sortis dans les villes et les villages pour appeler à la démission du gouvernement coupable, selon eux, d’abriter dans ses rangs des figures de l’ancien régime. Autre revendication, la dissolution de l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).
Hier matin, près de 500 personnes se sont rassemblées devant le siège de la compagnie des transports tunisiens. «Cette compagnie abrite des gens corrompus et il est temps de reprendre nos droits», a déclaré un employé du nom de Moftah. «On ne va pas se taire. On veut que cette minorité s’en aille.»
Aux cris de «RCD out !», en référence au parti de Ben Ali, présent dans tous les rouages du pouvoir et symbole de répression et de corruption, les manifestants défilaient hier le long de l’avenue Habib-Bourguiba, l’artère principale de Tunis, prévoyant de poursuivre leur mouvement «jusqu’à la dissolution du gouvernement».L’imbroglio politique semble se compliquer en Tunisie. La volonté du gouvernement transitoire d’opérer une transition en douceur en se refusant à adopter une méthode radicale contre les figures de l’ancien régime est purement et simplement désapprouvée. Même si le président par intérim Fouad Mebazaa et le Premier ministre Mohammed El-Ghannouchi ont tout deux démissionné du RCD, suivis par les 6 autres ministres du gouvernement, la rue ne semble pas accepter ce qu’elle qualifie de demi-mesures. Des mesures réelles ont été également prises en faveur d’une plus grande liberté. Une amnistie a été décrétée et les partis politiques interdits légalisés. Les trois commissions créées par le gouvernement se sont réunies pour la première fois hier pour définir leur composition et leur mode de fonctionnement. La première est chargée de préparer des élections présidentielle et législatives «d’ici six mois», la deuxième d’enquêter sur la répression policière sanglante pendant les émeutes et manifestations qui ont commencé la mi-décembre, et la troisième d’enquêter sur la corruption et les malversations de l’ancien régime. En outre, le gouvernement El-Ghannouchi a annoncé que l’État prendrait possession des «biens mobiliers et immobiliers du RCD», dont le sigle a été arraché avant-hier de la façade du siège du parti par des fonctionnaires, sous le regard ravi d’un millier de manifestants.
Signe du vent de liberté qui souffle sur la Tunisie depuis une semaine, après des lustres de censure, la librairie El-Kitab affichait à sa devanture quelques exemplaires de «brûlots» apportés de l’étranger par des clients, portant le bandeau «spécimen, interdit en Tunisie». Parmi ces livres, La régente de Carthage, l’enquête des journalistes français Nicolas Beau et Catherine Graciet sur la façon dont Leïla Trabelsi a fait main basse sur des pans entiers de l’économie tunisienne, ou encore Tunisie, le livre noir, de Reporters sans frontières. Le journaliste Taoufik Ben Brik, opposant «acharné» au régime de Zine El-Abidine Ben Ali, sera candidat à l’élection présidentielle prévue d’ici six mois en Tunisie. Fermées depuis le 10 janvier, soit quatre jours avant le départ de Zine El-Abidine Ben Ali, les écoles et les universités devraient rouvrir lundi. Mohamed Aloulou, nouveau ministre de la Jeunesse et des Sports, a indiqué à la presse, après un Conseil des ministres avant-hier, que les compétitions sportives, annulées depuis la semaine dernière, devraient reprendre «très prochainement». Aujourd’hui, la Tunisie entame son deuxième jour de deuil national à la mémoire des victimes des derniers évènements. Jusqu’à demain, les drapeaux tunisiens resteront en berne au sommet des édifices publics, la télévision diffusera par intermittence des versets du Coran. Selon un bilan gouvernemental, au moins 78 personnes ont été tuées dans les manifestations qui ont jalonné la révolution tunisienne des Jasmins. Le Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme avance, lui, le nombre d’une centaine de morts.
Source Le Jeune Indépendant M’hamed Khodja
Le Pèlerin