François Hollande en Algérie pour parler d'investissements et de mémoire
Le président de la République vient entouré d'une délégation d'une trentaine de chefs d'entreprise. Renault va finaliser un accord pour installer un site d'assemblage à Oran.
Une quinzaine de parapheurs attendent François Hollande aujourd'hui à Alger, au premier jour d'une visite d'Etat extrêmement attendue des deux côtés de la Méditerranée, et délicate au vu des relations tourmentées entre les deux pays. C'est seulement la troisième fois qu'un chef d'Etat français se rend en Algérie depuis la fin de la guerre d'indépendance en 1962.
Si ce déplacement, programmé à l'Elysée comme un des plus importants de la première partie du quinquennat (il s'agit de la deuxième visite d'Etat depuis mai, après la Pologne), est marqué par une forte dimension politique et mémorielle, il n'en comporte pas moins un volet économique. La signature d'une demi-douzaine d'accords industriels est programmée aujourd'hui et demain. Le plus important finalise celui avec Renault, après trois ans de négociation. La marque au losange s'associe avec l'entreprise publique Société nationale des véhicules industriels (SNVI), pour construire une usine près d'Oran qui devrait produire d'ici 2014 près de 25 000 Symbol, dérivée de la Clio. L'usine, réservée au marché national, le plus important d'Afrique, pourrait produire à terme 75 000 véhicules, deux fois moins toutefois que ce qu'attendait initialement la partie algérienne, laquelle ne vit pas très bien non plus que le voisin marocain bénéficie d'un partenariat plus important (1 milliard d'euros) à Tanger pour la production de véhicules réservés à l'exportation. Conformément à la législation protectionniste en vigueur depuis 2009, Renault aurait 49 % des parts de la joint-venture, tout comme SNVI, le solde appartenant à la Société nationale d'investissement. Alger en attend la création de six mille emplois.
En revanche, on indique à Alger que le lourd dossier (5 milliards de dollars) de l'usine de vapocrackage d'éthane de Total, qui discute depuis cinq ans avec la Sonatrach pour l'installation de ce site, ne devrait pas être finalisé officiellement cette après-midi. Après accord sur sa localisation à Hassi R'Mel, conformément aux voeux de Sonatrach, reste à s'entendre sur le prix de cession du gaz. De source algérienne bien informée, des accords sont en voie de finalisation avec Lafarge et Sanofi, deux entreprises dont les relations avec les autorités algériennes ont connu des hauts et des bas (le premier pour avoir acheté en 2008 les filiales locales de l'égyptien Orascom sans consulter suffisamment le gouvernement, le deuxième suite à contentieux douanier). Orascom a depuis été expulsé d'Algérie et Lafarge a investi dans plusieurs cimenteries. Présentée comme acquise ce matin, la signature de ces deux accords est démentie par la presse algérienne, auquel cas la visite de François Hollande se solderait par un bilan économique extrêmement mince, réduit finalement à la finalisation de l'accord Renault et à deux contrats avec des PME.
Délégation d'une trentaine de chefs d'entreprise
Une bonne trentaine de chefs d'entreprise font partie de la délégation imposante, forte de neuf ministres. Parmi lesquels on note Stéphane Richard (France Telecom), peu implanté en Algérie mais qui y nourrit des ambitions, Pierre Mongin (RATP), et Patrick Kron (Alstom), déjà présents dans les tramways, Jean Louis Chaussade (Suez Environnement), actif dans le traitement des eaux, Bruno Lafont (Lafarge) et Jacques Saadé (CMA CGM). L'armateur fait partie des entreprises qui peinent à rapatrier leurs dividendes, dossier qui fait l'objet de discussions entre Paris et Alger, le dinar n'étant pas convertible pour freiner la fuite des capitaux dans un pays où la confiance des investisseurs locaux est rarement au mieux. Un autre contentieux aurait été réglé ; de source algérienne, le pays aurait réglé l'arriéré de paiement de 13 millions d'euros dus à des hôpitaux à Paris, Lyon et Marseille au titre de soins apportés à des malades algériens. La question sensible des visas pour les Algériens (200 000 par an, deuxième plus fort contingent en France derrière la Russie) serait aussi au programme.
Une dizaine d'accords de coopération
Parallèlement, une dizaine d'accords de coopération culturelle, scientifique ou technique de moindre envergure doivent être signés entre les deux Etats. Un accord de défense antérieur entre les deux pays a été complété pour protéger judiciairement des militaires français qui, à l'occasion par exemple d'une opération conjointe, commettraient des crimes passibles de la peine de mort en Algérie. Une hypothèse à vrai dire très théorique, même si Paris plaide en ce moment pour une intervention militaire africaine, avec appui technique français, au nord Mali, région sous contrôle des djihadistes d'AQMI, à laquelle Alger n'entend ni participer ni prêter assistance. Aucune avancée n'a été constatée sur ce dossier sensible. A l'inverse de nombre de voisins du Mali, Alger s'oppose à toute intervention dans son arrière-cour.
Le président français a entamé sa visite par une déambulation avec son homologue algérien sur le front de mer de la ville d'Alger, hâtivement ripoliné pour l'occasion. Des ouvriers s'affairaient encore hier soir pour repeindre des façades ou refaire des trottoirs. Sombre présage, un incendie d'origine indéterminée s'est déclaré dans les sous-sols de la Grande Poste, dont s'échappaient des panaches de fumée, à quelques encablures du cortège officiel.
François Hollande doit s'entretenir dans l'après-midi avec le président Abdelaziz Bouteflika, ce qui donnera lieu à la publication d'un communiqués mais pas à une prise de parole commune, quoique la rencontre soit retransmise à la télévision algérienne, le président français doit s'adresser demain aux parlementaires algériens, une première depuis l'indépendance du pays en 1962. Ce discours est très attendu du côté algérien, car comme celui de Jacques Chirac en 2003 ou de Nicolas Sarkozy en 2007, il est censé contribuer, au processus « tourner la page et panser les plaies ». Une partie des dirigeants algériens, incarnée par le ministre des Moudjahdines, Mohammed Cherif Abbas, veulent excuses et repentance en bonne et due forme, bien qu'une majorité des Algériens, dont les deux tiers n'étaient pas nés en 1962, attendent seulement de la France qu'elle « reconnaisse les crimes de la colonisation ». A l'inverse, selon un sondage récent, une minorité de Français accepterait des excuses unilatérales pour les tortures et massacres d'Algériens durant la guerre (évalués selon les sources entre 250 000 et 1 million), la majorité se scindant entre ceux opposés à toute repentance et ceux qui y seraient prêts à condition que parallèlement Alger s'excuse pour les massacres de colons (2 000 à Oran en juillet 1962) et de harkis. Le président Bouteflika a oscillé ces dernières années, au gré des exigences de politique intérieure, entre un discours dur en la matière, soulignant que la colonisation française était « une des plus barbares qui ait existé », et un discours plus conciliant, celui tenu ces derniers temps, peut être lié au fait que l'Algérie miserait d'avantage sur la coopération internationale pour faire fructifier sa manne gazière.
Source LesEchos.fr Yves Bourdillon
Le Pèlerin