Grèves, manifestations et démocratie en Algérie
Alger - chomeurs en colère
Le mouvement des grèves et autres manifestations revendicatives devenu récurrent a-t-il une signification politique alors même qu’il s’en défend ? Que traduit-il au juste dans l’évolution générale du pays ? Une aspiration à un mieux-être naturellement de la part de catégories socioprofessionnelles qui s’estiment lésées par le système de la redistribution en place. Le slogan : «Donnez-moi mes droits, ma part des richesses- pétrolières» peut être décliné de plusieurs façons selon chacune des catégories en question. Au nombre de trois essentiellement. Du travail, pour les sans-emploi, un logement, pour ceux qui n’en ont pas, ou une augmentation de salaires, pour les faibles revenus. Tant que le gouvernement a du «répondant», qu’il satisfait ou qu’il promet, on n’observe que très rarement des cas de politisation. Au point que, contrairement aux années quatre-vingts où émergeait ce phénomène sur fond de crise économique et où l’idéologie et la politique apparaissaient comme le débouché naturel du mécontentement social, toute tentative de politiser telle ou telle grève est devenue aujourd’hui contre-productive. Comme si l’idée de remettre en cause le pouvoir a totalement disparu au profit de la simple satisfaction d’une revendication précise. On ne veut plus qu’il parte, au contraire, mais qu’il demeure pour résoudre les problèmes posés. Dans ces conditions, les acteurs politiques qui se présentent avec leurs partis comme des alternatives à ce pouvoir et qui proposent de se substituer à lui pour satisfaire les demandes et les aspirations, paraissent hors jeu. Personne ne semble se fier à eux pour se faire entendre, y compris lorsque les manifestations ont un caractère traditionnellement proche de la politique, comme l’officialisation de tamazight. L’opposition est disqualifiée ainsi d’ailleurs que l’ensemble des partis, leurs discours ne sont plus entendus. La fin de l’Alliance présidentielle et la situation de déliquescence des trois forces qui la composaient montrent bien que ces dernières ne servent plus à rien. Le pouvoir présidentiel, organisé autour de son administration et ses appuis militaires, devient maître du jeu, mais il est seul face à la grogne. Il a cependant assez de moyens pour tenir plusieurs mandats encore. A priori. Car, dans ce qui se dessine, la grogne en question est appelée à s’élargir, se compliquer et prendre de l’ampleur. On le voit, après les multiples grèves confinées aux salariés, grèves qui s’installent dans des bras de fer sans fin mais sans politisation, ce sont les chômeurs qui apparaissent brusquement dans le Sud. Le problème de l’emploi va se poser un peu partout dans d’autres régions. Les chômeurs, en particulier les jeunes, vont s’organiser de plus en plus pour se faire entendre et obtenir du gouvernement la satisfaction de leurs demandes. Historiquement, la démocratie occidentale s’est bâtie sur la constitution de ce qu’on appelle les corps intermédiaires. Face aux différents intérêts sociaux qui s’organisaient dans la société et réclamaient leurs droits, les pouvoirs occidentaux ont été contraints d’imaginer des instances où ils seront représentés. C’est ainsi que sont nés les Parlements, les urnes pour y accéder, les lois pour exprimer ces intérêts ou leurs lobbies et le cadre général destiné à la préservation de la collectivité. Bref, la démocratie. Dans les pays musulmans, ce processus n’a pas eu lieu par absence plus ou moins marquée de corps intermédiaires. La manipulation de la religion, par les uns et les autres, a empêché son avènement permettant ainsi l’instauration de pouvoirs absolus et l’interdiction de la constitution des intérêts autres que religieux. Au bout du compte, la religion est devenue l’unique moyen pour exprimer des revendications qui souvent n’ont rien à voir avec elle. Et pour aggraver le tout, on érige une démocratie de façade avec des Parlements qui ne représentent personne et des Institutions à l’abri de tout contrôle. Une illusion de démocratie qui peut tromper un temps mais pas tout le temps – simplement parce que les problèmes posés par la réalité ne disparaissent pas d’eux-mêmes.
Source Le Jour d’Algérie Brahim Djalil
Le Pèlerin