À Alger, le ciné, c’est tout un cinoche !
Par les temps cinématographiques qui courent, à Alger, capitale d’un pays en mal d’art, le cinéma ne fait pas son cinoche. Non, vraiment plus et depuis longtemps, presque depuis des années-lumière. Oui, franchement oui, le 7e art n’est pas à la fête malgré de louables efforts de réhabilitation de quelques salles désaffectées. La faute n’incombe pas seulement à la vidéo piratée, aux satellites télé et aux films téléchargés. A El Bahdja, il en est du livre comme il en va du ciné : très peu de librairies à courir, encore moins de salles de projection où se mettre plein les mirettes. Quand elles existent, les offres éditoriales et cinématographiques n’évoquent pas la corne d’abondance ou la caverne d’Ali Baba. On y achète et on y voit rarement les livres et les films de son choix. Remarquez qu’un vrai cinéphile est souvent un bouquineur boulimique, le plus souvent frustré. Un movie-buff, qui n’est ni un web-addict ni un fana du ciné à la télé, encore moins un accro de la vidéo ou un junkie inconsolable des consoles de jeux, ne sera pas à Alger le Toto du Cinéma Paradiso. A la sortie des rares salles accueillantes, il ne dira pas Tahya Ya Didou, pour crier son bonheur de cinéphage ! Des salles dignes d’offrir du cinéma, dans le confort et avec le réconfort final, il y en a juste un chouia dans une ville qui compte désormais une vingtaine de cinémas. L’Algeria, Le Cosmos, Le Mouggar (Colisée) et le petit multiplex du Centre commercial de Bab Ezzouar, sont de consolantes exceptions. A Alger, misère du livre, mouise du cinéma, ça va ensemble ! Et dire qu’en 1922, il y avait 22 salles pour fêter le cinéma. Des décennies plus tard, jusqu’aux années 1970, rien que dans la rue Ben M’hidi, sur un kilomètre de plaisirs, il y avait huit librairies et neuf cinémas ! Avec des noms qui même arabisés ensuite vous invitaient tout le temps à y venir bouffer du rêve en cinémascope. Ah ! Le Marivaux, Le Casino, L’Olympia, Le Monaco, Le Régent, Le Paris, Le Lux, Le Midi-Minuit et Le Club devenu Cinémathèque … Ailleurs, les noms sont une exhortation similaire à s’engouffrer dans la douce obscurité : Le Capri, L’Algeria (Versailles), le Français, L’Afrique, alias L’Empire où Ben Bella a concocté sa Constitution de 1963, L’ABC, Le Debussy, Le Hollywood, baptisé Sierra Maestra par le même Ben Bella, en hommage à la révolution castriste, et le petit Vendôme (Djurdjura), à côté du plus grand commissariat de police d’Alger. D’autres orgies pelliculaires à Belcourt, au Mondial, au Caméra, au Musset, au Roxy, au Select, et aux deux cinémas de Camus enfant, L’Alcazar et le Ritz. Suite des délices oniriques au Stella du Ruisseau. Au cinoche en fête à Hussein-Dey, tous les jours à L’Etoile, au Moderne, au Rio et au Royal, avant de rejoindre L’Eldorado non loin du pestilentiel Oued El Harrach. Retour à Alger-ciné, au Dounyazad, au Triomphe, à L’Odéon et au Studio de l’Hôtel Alletti où la première séance était à 11 h ! A Bab El Oued, le chiffre fétiche du cinématographe en folie, était le 10. Dix cinémas du delirium tremens en bobines, ya bouguelb : Le Majestic (L’Atlas), Le Variétés, L’Ecran, Le Marignan, Le Lynx, La Perle, Le Plaza, Le Richelieu, Le Monciné et le Rialto. N’en jetez plus dans une ville où la convivialité possédait 54 temples pour exprimer mille mercis aux frères Lumière
Source La Tribune Noureddine Khelassi
Le Pèlerin