La fresque épique d'une Algérie qui se cherche
Le dernier roman de Mohamed Benchicou, Le mensonge de Dieu , (mai 2011, Michalon), sort cette semaine à Alger (Editions Koukou et Inas). Lecture d’un livre qui pourrait ne pas laisser indifférent.
On avait laissé Mohamed Benchicou, dramaturge avec son livre Le dernier soir du dictateur, on le retrouve romancier avec Le mensonge de Dieu. Haletant et épique, ce roman brosse un siècle et demi d’histoire d’une famille algérienne. Avec Le mensonge de Dieu, l’auteur plonge dans le passé de notre pays comme aucun auteur ne l’avait fait jusqu’à présent. Il y a quelque chose de neuf, de subtil, de profond dans la construction de cet épais roman. Le style est dense, enlevé, le lyrisme féroce et le récit bourré de rebondissements et de faits historiques. Tout part du cimetière d’El Kettar où Yousef, un mendiant, a trouvé refuge parmi les morts. Tout un symbole. Puis l’auteur déroule la saga d’une famille qui remonte jusqu’au XIXe siècle. «L’histoire d’une vieille folie de sang, une folie de l’honneur», confie le mendiant qui a tout consigné dans un cahier blanc, «dernier pied-de-nez aux prophètes contrefacteurs, intronisés par le mensonge qu’ils ont fait dire à l’histoire et à Dieu». L’amour, la séparation, l’orgueil, les révolutions, la mort, la trahison, on y retrouve tous les ingrédients d’une énorme fresque écrite avec une plume tantôt tendre, sensible et tantôt féroce et irrévérencieuse. Au commencement, il y a Belaïd, l’ancêtre, «l’irréductible tombeur de femmes», le digne fils de Tizi n’Djemaâ jeté dans les conflits de son siècle. Ici, la chronique se joue du temps et des hommes. Par flash-back, le romancier nous prend la main pour nous emmener sur plusieurs théâtres de guerres qui avaient ensanglanté le monde. D’abord Colmar, où Belaïd s’est engagé aux côtés des Allemands de Bismarck contre les troupes de Napoléon III, par amour pour Joséphine, une Alsacienne qui enseignait à Akbou. La guerre finie, Belaïd l’apatride, l’amoureux éconduit, reprend le chemin de sa quête et par là même ouvre les portes de l’errance à sa descendance. La recherche d’une «patrie fugitive» consuma vainement toute sa vie. Décidé à se battre pour lui-même, on retrouve, au printemps 1871, l’aïeul à Tizi n’Djemaâ. Belaïd est devenu soldat de Dieu et rejoint les résistants kabyles qui se battaient contre les troupes du maréchal Mac Mahon. Ici encore, le romancier se fait historien et nous apprend que les héros ne sont pas ceux que l’histoire officielle nous a appris. Puis il y a Gabril dans l’enfer de Verdun. Aux côtés d’Abdelkrim, le Rebelle, dans la guerre du Rif, des Brigades internationales contre les «ombres noires» de Franco, pendant la Seconde Guerre mondiale, on retrouve Yousef, l’autre apatride et petit-fils de Belaïd. Yousef, toujours en quête d’un pays introuvable, c’est aussi le mendiant d’El Kettar qui lègue le cahier blanc dans lequel l’histoire de la lignée de Belaïd est consignée. C’est dire que cette famille et sans doute l’Algérien s’est retrouvée depuis plus d’un siècle au carrefour de toutes les guerres. Celles des autres peuples d’abord, puis les siennes. «Le fond historique de ce roman est réel. Les personnages, eux, ont dû exister», écrit le romancier en guise d’avertissement. Le mensonge de Dieu est ce chant élégiaque d’un homme, le mendiant d’El Kettar, et par extension de l’auteur, pour son peuple. «Les morts ont tort Yousef si après leur mort, il n’y a personne pour les défendre», cette phrase nous fait penser à cette autre restée pour la postérité, prononcée par Didouche Mourad : «Si nous venons à mourir défendez notre mémoire.» Que d’amour, d’étreintes furtives, de retrouvailles et de séparations au milieu de la mitraille et de l’acier ! Par une construction romanesque ingénieuse, Mohamed Benchicou nous emmène sur plusieurs lieux tout aussi marquants les uns que les autres. Dense, Le mensonge de Dieu déroule le fil d’une lignée de combattants oubliés. Et à travers eux, c’est sans doute l’apport de l’Algérien à la grande histoire du siècle dernier qui est ici réhabilité. Ce serait une gageure que de tenter de résumer en quelques lignes ces 650 pages pavées de sensibilité à fleur de peau, de colère, de coups de gueule et de poésie. Le mensonge de Dieu est un grand moment de littérature. Comme jamais, Mohamed Benchicou a mis les mots du romancier qu’il est sur les sanglots de notre histoire. Il nous réconcilie avec un pan du passé oublié, ignoré, manipulé, voire effacé. Plus qu’un roman donc, ce livre est un long poème polyphonique, pluriel où l’imagination rejoint certains faits historiques. La bravoure, la lâcheté sont écrites d’une même encre, ravageuse et sans concession. A propos du livre, l’auteur déclarait sur France Inter que ce roman «est une chronique d’un vieux rêve d’un peuple parti à la recherche de la lumière… ». Et dire que la censure triviale, oblique du pouvoir a failli avoir raison de son édition en Algérie. Sous des prétextes inconsistants, les lecteurs algériens ont failli être privés de ce roman par des procureurs de la conscience tapis dans les étages sombres du régime.
Source Le Soir d’Algérie Hamid Arab
Le Pèlerin