Algérie - La question du jour - A qui profite l’abstention ?
Tout système politique voudrait limiter la portée de l’abstention, mais peut-être davantage encore les démocraties en construction, qui ont grand besoin de l’adhésion de masse. Il existe à ce propos en Algérie une idée aussi vieille que l’ouverture politique. C’est celle qui impute l’abstention à un seul bord. Cette frange de l’opinion s’était appelée au départ les démocrates, quand ce n’est pas les républicains, ni, faisant dans la redondance comme si elle doutait de sa propre identité, les démocrates républicains. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que l’UDR (Union des démocrates républicains), parti non encore agréé, mais dont tout indique qu’il ne tarderait pas à l’être, pour continuer de se réclamer d’un camp dont l’existence même reste à prouver. Même le RCD semble désormais ressentir de la gêne à s’attribuer une dénomination aussi pompeuse qu’électoralement douteuse.
En s’arrogeant le double titre de démocrates et de républicains, ce camp (par-delà donc l’UDR) ne fait pas que se donner un nom. Il se pose surtout en tant que force importante, qui non seulement s’oppose mais fait contrepoids au bloc regroupant les tendances de l’islamisme. Il y aurait ainsi deux grandes familles politiques : les tenants de l’islamisme et leurs adversaires, les démocrates. Le champ politique algérien serait, suivant cette approche, structuré par un seul clivage essentiel. Une seule ligne de démarcation traverserait la société, la divisant en islamistes et en adversaires radicaux de ces derniers. Dans cette configuration, un parti s’ancre soit dans le premier soit dans le second camp, pour autant qu’il ne cherche pas une impossible synthèse des deux.
Le problème, c’est qu’il devient alors difficile d’expliquer le faible score électoral des «démocrates». S’ils ont en effet vocation à représenter l’autre grande moitié de la société, comment se fait-il qu’ils ne pèsent pas beaucoup dans les élections, comment s’expliquer que leurs résultats soient sans commune mesure avec ceux de leurs adversaires ? C’est là qu’intervient l’abstention, ou plutôt la justification par l’abstention. Si les partis dits démocrates sont à chaque fois balayés électoralement, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas représentatifs, c’est parce que leurs électeurs, nombreux par définition, ont la fâcheuse habitude de ne pas se rendre massivement aux urnes, au contraire de l’électoral islamiste, qui, lui, est pour ainsi dire mobilisable et corvéable à merci.
L’autre grande justification dont usent les «démocrates», c’est celle qui consiste bien sûr à imputer leurs maigres résultats à la fraude «massive et généralisée». Mais laissons-la de côté pour le moment.
L’abstention, donc, non seulement pénalise un seul camp à l’exclusion de l’autre ou des autres, mais serait son fait, son trait distinctif, sa marque de fabrique autant dire. De sorte que c’est lui-même qui est responsable de ses défaites successives, sinon totalement, parce qu’il faudrait faire la part de la fraude, du moins partiellement. De là vient qu’à la veille des élections, le même avertissement est donné suivant lequel l’abstention ne profite qu’aux islamistes. Cette fois-ci, c’est Amara Benyounès qui s’est chargé de l’asséner en premier, ce qui tend à prouver qu’il est assuré de la participation de sa formation aux élections de cette année.
A en croire cette conception, pour le moins binaire, tous les votants seraient à ranger dans un camp, et tous les abstentionnistes dans l’autre, celui des adversaires radicaux du premier. A contrario, pour gagner les élections, ou du moins pour faire pièce au vote islamiste, les «démocrates» n’auraient qu’à convaincre leurs électeurs potentiels de se rendre aux urnes. A croire qu’ils avaient fait autre chose depuis que des élections pluralistes sont organisées dans le pays. On voit peut-être sur quelles absurdités repose l’affirmation selon laquelle l’abstention ne profiterait qu’à l’islamisme.
Source Le Jour d’Algérie Mohamed Habili
Le Pèlerin