Albert Camus -
Entretien avec Jean Paul Schintu
Les espaces du centre culturel français d’Alger (CCF) accueillent une adaptation de Jean-Paul Schintu de l’œuvre « le premier homme » d’Albert Camus.
Aujourd’hui, jour pour jour, 50 ans après l’auteur de «L’étrange» et prix Nobel, marque encore plus le monde de la littérature et de la philosophie. Albert Camus, l’enfant de Belcourt a été littéralement attaché à son sol. La preuve, il écrit dans son dernier roman son enfance, son adolescence en Algérie.
Il a ainsi côtoyé les petites gens qui ont façonné ses idées, des personnes affables et généreuses, envers les couches sociales défavorisées. Pourtant, ce récit est autobiographique, il se déroule intégralement en Algérie, dans la classe la plus pauvre de la population européenne des colons. Affronter ses démons pour s’affranchir des barricades et des obstacles les plus puissants. La seule constante semble être cette plongée dans les fins fonds de l’humain avec toutes ses faiblesses, dans une société emplie de diversité et dont la singularité demeure cette recherche de soi en l’autre, où femme et homme se bousculent les désirs, se leurrent et finissent par s’égratigner à force d’interdits, d’ambitions et d’appétits inassouvis.
La force de la touche artistique de Jean-Paul Schintu, metteur en scène et comédien de cette pièce, a fait exploser ses talents insoupçonnés qui se sont distingués par une maîtrise et une cohérence de jeu que lui seul peut apporter une rigueur et un investissement passionné.
Il a d’ailleurs assimilé la gestuelle, jusqu’à l’appropriation du personnage d’Albert Camus.
Ce metteur en scène a mis sa propre touche en dressant une chronique loufoque, inédite, bouleversante et intéressante. Cette pièce est écrite dans un langage simple et met en scène des faits relatés d’une manière explicite.
Le comédien n’a pas eu de difficulté à impressionner par sa force et sa volonté de changer des situations, en s’opposant aux diverses facettes de la vie sociale. Il faut dire que ce monologue appuyé d’une musique signée Philippe Hersant, développe la concentration, permet l’acquisition d’un vocabulaire lié à l’espace.
Jean Paul Schintu : «La dernière partie de l’œuvre m’a bouleversé»
Cet intérêt pour l’ouvrage d’Albert Camus, vient de l’amour de la langue ou plus précisément de la littérature ?
Un peu des deux. Jeune déjà, j’étais captivé par l’amour des mots et de la langue. J’étais appelé à découvrir l’œuvre d’Albert Camus étant donné que je suis d’origine méditerranéenne.
Quel regard portez-vous sur la création insulaire ?
Concernant la création solitaire, c’est en clair le récit d’un homme seul. C’est le cas d’Albert Camus qui a écrit ses œuvres dans la clandestinité. Pour moi, ce texte est intimiste, un premier jet sans une deuxième lecture.
Dans «le premier homme», Albert Camus écrit des phrases successives émaillées de remarques et d’interrogations mais l’épilogue de ce roman ou plutôt les propos de l’auteur demeurent alambiqués et incomplets. On aimerait connaitre justement les difficultés rencontrées lors de cette adaptation et réalisation de ce texte...
Naturellement, ce récit est similaire à une forêt vierge. J’ai longtemps œuvré pour établir une adaptation adéquate. Ce n’est pas une sinécure. Un travail à plein temps. Un foisonnement de sentiments. Des moments de partage, d’émotion, de loufoquerie et de création. Il fallait détacher les éléments les plus pertinents et marquants tout en sauvegardant l’âme de l’œuvre. La dernière partie de ce roman « Obscur à soi même », m’a particulièrement marqué. Albert Camus se livre, fait des aveux, parle de lui, d’une manière échevelée et pourtant lucide.
Ce spectacle est une sorte d’autobiographie en mouvement où vous racontez la vie de cet illustre homme. Vous avez donc campé le rôle de l’auteur. Vous êtes- vous identifié au sujet traité ?
Foncièrement. Au travers de ce récit, Albert Camus vit et commente les évènements de sa vie. Pour moi, c’est un va et vient entre l’écrivain et son destin. Il met en exergue deux personnages, sa mère et son instituteur. Une mère qu’il aime profondément et dont il va découvrir l’amour qu’elle lui porte progressivement. Je me suis identifié à un homme confronté à son destin et amoureux de son pays, de son histoire, de sa culture, de sa gastronomie, de ses plages, de ses traditions.
Vous avez joué cette œuvre théâtrale un peu partout dans le monde. Quel est votre sentiment en vous produisant aujourd’hui en Algérie, lieu du déroulement des faits de ce roman ?
C’est doublement émouvant pour moi. Tout d’abord, les événements racontés se déroulent à Alger. En plus, je suis né à Annaba. Jouer ce spectacle revêt un cachet particulier pour moi. Il m’offre l’opportunité de m’approcher de mes racines, de mon identité, de mes repères.
Qu’elle a été votre empreinte artistique ?
Albert Camus a pris des distances en écrivant cet ouvrage. J’ai dû apporter des changements en alimentant ce récit avec les véritables noms de l’entourage de cet homme de culture.
J’ai opté d’intégrer trois locutions en expression arabe à l’instar de «Zine», «Al hamdou lilah welite chef» et «Anaâm». Ce besoin me rapproche de la réalité.
Jean Paul Schintu, vous êtes né en Algérie. Vous avez fait vos débuts dans les compagnies avant-gardistes avant de rejoindre le conservatoire national d’art dramatique de Paris. Vous avez ainsi joué dans des pièces classiques et contemporaines…
Je dirige actuellement un atelier de théâtre autour de la poésie française et notamment le théâtre d’Albert Camus. Maintenant, que j’ai atteint une maturité professionnelle, j’aimerais partager mon expérience théâtrale avec d’autres. Je souhaite réaliser à Alger une adaptation d’un texte sur Molière ou encore le texte « Le procès de Cavequas », qui traite du sujet de la bureaucratie.
Natif d’Algérie et prix Nobel de la littérature, Albert Camus serait introduit au Musée Panthéon.
Ce projet proposé dernièrement par le président français Nicolas Sarkozy a provoqué la colère de certains intellectuels. En tant qu’un homme de théâtre, quel est votre sentiment ?
Certes, Albert Camus mérite d’entrer au musée du Panthéon. Cependant, j’estime que la logique et la légitimité d’Albert Camus revient à l’Algérie. La dernière décision revient à ses enfants.
La caravane d’Albert Camus devait être célébrée ces jours-ci. Seulement une pétition a été lancée par un groupe d’intellectuels pour protester contre son arrivée. Comment interprétez-vous cette démarche ?
J’ai effectivement entendu parler de cette caravane. Toutefois, je ne suis pas au courant de l’évolution des événements. Certains, considèrent Albert Camus comme un écrivain algérien, d’autres opposants ne partagent pas cet avis. L’Algérie est pour Albert Camus, sa terre natale qu’aucun autre lieu ne peut remplacer. C’était un européen mais pas imbus de complexe de supériorité qu’avaient ses concitoyens envers le peuple algérien autochtone. Je pense qu’Albert Camus devrait être reconnu par l’Etat algérien.
Source Horizons Samira Sidhoum.
Le Pèlerin