Culture - L'œil en coin - «T’as le bonjour d’Albert…»
En ces temps sans boussole, ou tout va et rien n’a d’importance en dehors du foot (…),un homme, et un seul, disparu un 4 janvier 1960, aura hanté plus d’un signal télé.
Cet homme, venu de nulle part pour certains, puisque né du côté d’Annaba, plus précisément à Mondovi (actuellement Dréan), n’est autre qu’Albert Camus. Journaliste, écrivain, philosophe, dramaturge et surtout humoriste, Camus aura suscité de son vivant comme après sa mort controverses, doutes et questionnements. Le premier à ouvrir les chemins escarpés de la télé aura été Jean-Pierre Elkabbach et son «Médicis» sur LCP. Le point d’orgue de cette émission, se voulant pourtant un haut lieu de la littérature universelle, aura grincé, coincé sur le sujet de transfert des cendres du défunt au Panthéon. Ce sujet initié par Sarkozy l’été dernier aurait des senteurs de récupération un peu politique et nous ne saurions d’ici, d’Algérie, ne pas être de l’avis de ceux qui refusent «l’honneur» posthume en soulignant que Camus n’aimait pas les médailles et les décorations. Pourtant, un petit pied de nez (évoqué superficiellement lors de la même émission) pourrait très bien partir d’Alger, de Tipasa ou d’Annaba. Ce pied de nez, accompagné d’un judicieux et ironique «t’as le bonjour d’Albert…», consisterait, pourquoi pas ?, à donner le nom d’Albert Camus à une rue, à un boulevard, à une place publique… ElKabbach, en pied-noir avéré, s’est promis «d’en toucher un mot à Bouteflika». Une façon de se démarquer de ceux qui avaient pourchassé Camus pour son appel à la «trêve pour les civils» lancé en janvier 1956. Cet appel venu des tréfonds de celui qui considérait la guerre comme une «vacherie universelle» aura nourri toutes les rancœurs et toutes les ambiguïtés. En voulant la paix pour les deux communautés, en voulant que le sang cesse de couler ( La Terre et le Sangde Mouloud Feraoun), Camus ne pensait qu’aux populations civiles. Cet aspect politico-social du journaliste engagé ne sera que légèrement évoqué dans le téléfilm diffusé sur France 2, mercredi dernier. Là, nous avons eu droit au volet intimiste d’Albert Camus avec ses frasques, ses émotions et ses «virées» tant amicales que sentimentales. Scénarisé et réalisé par un Laurent Jaoui aux senteurs d’encens sûrement pied-noir, ce téléfilm est plutôt réducteur dans la mesure où la rupture avec l’existentialiste du moment, Jean- Paul Sartre, prédominé par rapport à la remise du prix Nobel de littérature en 1957 et son combat pour les libertés. Mise sous veilleuse également son influence philosophique car nul n’a mieux que lui posé les grandes questions singulières et fécondes d’interrogation identitaire. De la liberté sans Dieu à la responsabilité sans récompense en passant par la violence rédemptrice entre fin et moyens, Camus aura pourtant agité (et avec quel talent !) le cocotier de l’humanité souffrante. Sans tomber dans le traité de morale subjective, le prix Nobel auteur de la Peste, l’Etranger, l’Homme révolté, la Chute, le Mythe de Sisyphe, etc, laisse derrière lui une œuvre d’une intelligence que peu de critiques auront appréciée et décryptée, éblouis qu’ils étaient par son style et la notion de l’absurde, trait de caractère bien méditerranéen. Victime de tant de contradictions sociales, Albert Camus aura vécu le drame algérien dans sa chair, avec des valeurs humaines au creux de son poing serré et contrairement aux jugements superficiels des J.-P. Sartre, Edward Saïd ou Jean Pomier, il aimait l’Algérie ! On ne sait pas si cette vérité, longtemps sujette à controverse, aura le dernier mot chez Franz- Olivier Giesberg vendredi prochain («Vous aurez le dernier mot» sur F2) mais il est d’ores et déjà acquis que les rendez-vous culturels de Philippe Lefait («Des mots de minuit») et de Frederic Taddei («Ce soir ou jamais») nous feront veiller tard le soir comme ce fut le cas avec Arte lundi dernier. «Albert Camus, un combat contre l’absurde» nous aura envoyé dans les bras de Morphée moins idiots que nous l’étions auparavant. L’on aura appris que l’enfant de Mondovi avait des idées politiques proches de celles de Messali El Hadj, Mendès France et Ferhat Abbès. L’on aura appris (on le savait plus ou moins, quand même…) qu’il aura dénoncé par ses écrits la misère, la misère de la Kabylie et le fol orgueil européen et le mépris général du colon. Cet homme, ou plutôt, ce fantôme qui hante encore les consciences de la bien-pensance post-coloniale (d’où la récupération politique d’un Sarkozy lui ouvrant les portes du Panthéon), se verrait bien sur une plaque de rue, de boulevard ou de place algérienne, lui le natif de Mondovi. Cette dernière étant une petite bourgade italienne (avant d’être algérienne, donc) où Bonaparte vainquit les Piémontais en avril 1796, c’est toute une symbolique pouvant gifler ses compatriotes détracteurs avec en prime, un malicieux «t’as le bonjour d’Albert de Mondovi» à l’endroit de Nicolas Sarkozy… En première lecture, la boutade voudra dire que les Français bonapartistes n’ont rien à envier à leurs pairs colonialistes de 1830. En seconde lecture, le prix Nobel de littérature version 1957 renouerait avec l’air du temps, celui du refus du Panthéon et accéderait ainsi aux vœux de son fils, de sa fille et de tous ses véritables amis qui tiennent à ce qu’il reste là où il est, c'est-à-dire enterré en bord de mer méditerranéenne à Lourmarin, au sud de la France. «C’est un lieu qu’il avait étudié, chanté, un lieu qui l’avait rapproché de l’Algérie», affirmera Jean Daniel, l’autre pied-noir «rédempteur». Pour notre part, retenons que la vie de Camus aura dérangé plus d’un et que sa mort fait veiller plus d’un scotché, cinquante ans plus tard.
Source Soir d’Algérie Par Mourad N.
Le Pèlerin
denis 22/01/2010 20:39
Le Pèlerin 23/01/2010 15:45