Tamanrasset - Ombres et lumières sur la perle du Hoggar
Tamanrasset, la perle du Sahara, représente l'une des plus importantes attractions touristiques de notre pays. Les paysages lunaires et les immenses espaces ouverts dont la nature l'a dotée suscitent l'émerveillement et l'engouement de centaines de touristes européens, américains et même asiatiques.
Mais comme en Algérie le tourisme en est toujours à ses premiers balbutiements, on a remarqué dans cette ville deux aspects antinomiques : d'une part, une pratique à la dilettante imposée par le manque de structuration étatique et, d'autre part, une admirable prestation professionnelle qu'offrent certaines agences malgré les innombrables difficultés. La plupart des visiteurs étrangers et locaux, qui viennent régulièrement à Tamanrasset en quête de pureté, de naturel ou simplement de repos, optent pour les divers circuits proposés par les agences touristiques de la ville. Le lancinant Hoggar et l'insondable Tassili N'Ajjer sont les plus courtisés. La ville, elle, est généralement boudée par les touristes qui n'y séjournent que le temps d'une halte rapide avant ou après les bivouacs. Résultat : la plupart des auberges, des hôtels et des campings de Tam sont peu ou pas fréquentés, sauf en des occasions culturelles.
La période des festivals est en effet très bénéfique à ces établissements, qui se voient envahis par des hordes d'artistes, de journalistes et autres participants venus des wilayas du pays et même de l'étranger.
Culture étatique vs festivités tribales
Parmi les événements culturels les plus ancrés dans la ville de Tamanrasset figure "le colloque international sur l'imzad", initié depuis 2005 par l'association Sauver l'imzad, présidée par Mme Farida Sellal. Cette année, la rencontre s'est déroulée du 14 au 16 janvier. La démarche de l'association s'inscrit dans un esprit de sauvegarde de cet art ancestral menacé de disparition. L'imzad, instrument mythique de la culture targuie, représente un pilier incontournable de la musique saharienne d'Algérie. Aujourd'hui, il ne subsiste malheureusement que quatre vieilles dames qui maîtrisent cet art sacré du patrimoine targui. L'association œuvre donc au maintien, à la protection et à la pérennisation de l'imzad. Parmi les réalisations découlant de cette initiative, la mise en place, en 2004, d'une école de formation de l'imzad à Tamanrasset, dont la première promotion a été baptisée "Dassine", en hommage à la grande p
incesse poétesse targuie. Il est à noter également l'acquisition par l'association d'un terrain d'une superficie de 10 000 m² sur la route de l'Assekrem, pour la construction de "Dar el-imzad", dont l'objectif est de "former et de rassembler tous les artistes et passionnés des arts traditionnels des déserts", selon les organisateurs.
Tamanrasset, ville phare du désert algérien, regorge de pratiques artistiques variées aussi vieilles que la culture amazighe. L'imzad, bien qu'étant représentatif de cette richesse inestimable, n'est pas le seul à devoir être préservé contre l'oubli et l'inhibition.
En dehors des manifestations culturelles officielles, la ville et ses environs ne chôment pratiquement jamais en matière de festivités, qui revêtent évidemment un cachet traditionnel.
Dans le village de Tit (mot berbère signifiant "œil"), à 60 km de Tamanrasset, a lieu chaque année une ouaâda (ou zerda) dédiée à la mémoire du ouali saleh Sidi L'Ouafi, un saint homme originaire du village, mort en 2002. L'événement, qui dure deux jours et deux nuits, est marqué par tout un rituel traditionnel, préparé essentiellement par les femmes du village qui assurent un festin aux nombreux invités. Au menu, une panoplie de plats traditionnels de la région, tous cuisinés sur la braise, à l'image du couscous, du "kh-bez" (chakhchoukha de Tamanrasset), de la tagella (plat fait de pâtes traditionnelles et de douara, cuit sous le sable), ou encore du "maïnama ", viande d'agneau préparée à la manière africaine. La première soirée de la "zerda " est caractérisée par un spectacle de chants et de danses traditionnels auquel s'adonnent, à cœur joie, femmes, hommes et enfants. Sans oublier l'indispensable baroud et les précieux "madaih" (chants mystiques). La deuxième nuit est animée par des dizaines de musiciens, chanteurs et chorégraphes locaux, qui viennent des quatre coins de la ville pour célébrer le majestueux souvenir de Sidi L'Ouafi.
Plusieurs autres "zerdas", dédiées aux nombreux awlia' qui hantent la mémoire de la ville, illuminent le quotidien de Tam et offrent ainsi à ses habitants l'occasion de faire la fête en dehors des manifestations officielles qui, faut-il le dire, profitent plus aux organisateurs et participants étrangers qu'à la population locale.
Il est également intéressant de noter que c'est justement ce genre d'événements traditionnels qui attirent l'attention et l'admiration des touristes plus que les galas modernes qu'offrent les festivals étatiques. "Un chanteur sur une scène, avec des instruments modernes et une sono sophistiquée, on en trouve partout en Europe. Mais quand j'ai découvert la ouaâda de Sidi L'Ouafi, j'ai trouvé l'élément essentiel qui manquait à mon voyage : la vie tribale", nous confie Hélène, femme au foyer française, en visite pour la première fois à Tamanrasset.
Elle, comme tant d'autres visiteurs ensorcelés par la beauté divine du désert, ne compte pas arrêter là sa grande découverte des horizons lunaires. En effet, rares sont ceux qui, ayant embrassé de leurs yeux la magnificence magique de Tam (mais aussi de Djanet), ne soient pas revenus. Certains comparent même l'effet salvateur qu'a le Sahara sur les esprits, rongés habituellement par le quotidien morne d'un citadin ordinaire, à une sorte d'envoûtement !
Des paysages d'une beauté époustouflante et d'un effet magique sur l'âme et le corps, une culture ancestrale qui résiste malgré tout aux vents de l'oubli, des habitants locaux dont la générosité et l'hospitalité légendaires ne sont plus à présenter font donc de Tamanrasset en particulier et du Sud algérien en général une destination de rêve pour tous ceux qui désirent ouvrir leurs yeux et leurs esprits sur d'autres horizons.
Tam la meurtrie
Mais Tamanrasset n'est malheureusement pas qu'un havre de paix et d'amour où règnent la sérénité et le bien-être. L'autre facette de la ville se dévoile à notre regard comme une fausse note, comme une injure.
Dans le centre-ville déjà, on sent, forte et pénétrante, l'ombre redoutable de la misère, du dénuement presque inhumain dont souffrent une grande partie de la population. En nous baladant dans les rues et avenues principales, en prenant un café sur une terrasse ou en s'arrêtant simplement devant un magasin d'artisanat, un dense attroupement d'enfants, âgés pour la plupart de moins de 12 ans, nous entoure, nous les touristes venus du Nord, et donc naturellement beaucoup plus nantis, pour demander l'aumône. Ces jeunes garçons et fillettes issus de familles démunies n'ont jamais mis les pieds à l'école, ils ne savent donc ni lire ni écrire. Une triste réalité qui, hélas, touche une très grande partie des enfants de la région, citadins et nomades confondus. Les raisons de cet analphabétisme généralisé ne sont pas à chercher uniquement du côté des parents. Certes, beaucoup de familles, notamment parmi les nomades, négligent la scolarisation de leurs enfants et préfèrent les initier aux travaux manuels et artisanaux dont ils devront vivre plus tard. Mais il existe également une catégorie de mineurs qui ont vite fait d'abandonner leurs études pour se consacrer à de petits boulots, qui pour aider sa famille et qui pour se procurer un certain bien-être personnel. Malik, adolescent âgé de 18 ans, a délaissé ses études secondaires pour verser, comme beaucoup de ses congénères, dans le trabendo. Mais il n'est pas question là du trabendo "soft" à l'algéroise, mais d'un commerce assez dangereux qui implique des risques considérables. Il s'agit, pour le jeune et ambitieux Malik, d'acheter diverses marchandises à prix dérisoire au Niger, pour les revendre au marché noir de Tam, dénommé Gataâ El-Oued, avec une marge assez confortable de bénéfices. Exemple : un disque dur externe de 60 gigas, qui coûte à Alger environ 3 000 DA, vaut le double à Tam. Les mêmes calculs sont aussi valables pour les pièces détachées, les produits électroménagers, électroniques et même artisanaux ! Cela nous renvoie évidemment à un autre fléau dont souffre la ville : l'extrême cherté de la vie. En effet, les produits de contrebande ne sont pas les seuls à coûter les yeux de la tête. Dans une supérette à Tam, les prix des divers aliments essentiels aux repas quotidiens de la population sont plus chers (le double) que ceux d'Alger. Une lourde charge qui écrase les frêles épaules du budget dérisoire d'un habitant de Tamanrasset moyen.
A tout cela s'ajoute le manque de structures d'emplois pour les jeunes habitants de la ville. Le tourisme, censé faire germer une multitude d'occasions dans ce sens, demeure malheureusement inefficace pour ce qui est de contribuer à l'épanouissement économique et social de Tam. Tamanrasset, la perle du Hoggar, s'avère donc une région où la beauté hallucinante des paysages côtoie la laideur inhumaine d'une misère qui n'a pas encore livré tous ses maux, tous ses noms ! Un tel trésor inestimable du patrimoine naturel et culturel de notre pays ne mérite certainement pas de sombrer dans le dénuement et le besoin, alors qu'avec une bonne gestion, elle serait réellement le havre de paix et de lumières du désert algérien.
Source Le Jeune Indépendant Sarah Haidar
Le Pèlerin