Virée ramadanesque sur la côte Ouest
Les Algériens n’ont pas pu profiter pleinement de l’été, cette année. La survenue du mois de jeûne au mois d’août a eu, pour effet, d’écourter sensiblement la saison estivale.
En cette journée du 17 août 2010, de Kettani (Bab El-Oued) à Cherchell (Tipaza), les plages sont désertes. Ou plutôt creuses, tout comme les estomacs en ce septième jour du ramadan. A l’exception d’une température relativement élevée, rien n’indique que nous sommes en pleine saison estivale, tant les foules se ruant habituellement sur la grande Bleue en cette période sont carrément inexistantes. Les images sont identiques dans plus d’une vingtaine de plages visitées.
A peine une dizaine de personnes d’un certain âge sont attablées au bord de la mer, sans pour autant oser se jeter à l’eau. Pour eux, il est plutôt question de «tuer le temps» en attendant bien évidemment l’appel du muezzin pour la rupture du jeûne. Les enfants en bas âge, eux qui ne sont pas concernés par le jeûne, profitent des grands espaces pour donner libre cours au jeu et à la détente. Certains bambins sont accompagnés de leurs parents afin de leur assurer la sécurité et la nourriture. «Je suis contraint de me lever à 10h du matin pour conduire mes enfants à la plage. Je dois aussi penser à préparer un déjeuner à emporter car sur place tout est fermé. Avec le peu de monde et l’espace libre, ils insistent pour se rendre chaque jour dans une plage différente. C’est leur chance cette année !» affirme un père de famille croisé à la plage de Sidi Fredj. Sur cette même plage, des dizaines de chaises et de tables, louées ordinairement aux estivants par des travailleurs saisonniers, sont vacantes. Même le «gérant» est absent, permettant ainsi à la dizaine de personnes se trouvant sur le site de bénéficier d’une «promotion spéciale ramadan», en utilisant ces «meubles» sans contrepartie. Le propriétaire des chaises et tables, qui ne met pas le pied à la plage avant 17h, procède au nettoyage du site en attendant l’affluence des familles après la rupture du jeûne. C’est aussi une excellente opportunité pour les enfants des régions de l’intérieur et du sud du pays qui sont en colonies de vacances. Sur les plages de Sidi Fredj, Staouéli et Zéralda, des groupes d’enfants s’amusent en toute liberté, courent dans tous les sens, se jettent à l’eau, jouent au ballon… Un groupe d’environ une soixantaine de bambins venus des régions de Béchar, Naâma, Aïn Sefra, Aïn Oussara et à Azur plage (Zéralda) passait leur première journée de la saison au bord de la mer et pour certains de leur vie. La joie qui se dessine sur leurs visages est indescriptible, eux qui se sont habitués aux grands espaces dans leurs régions de résidence. «‘’Hamdoullah’’ que notre colonie est tombée en plein mois de ramadan. Comme ça, personne ne nous bouscule ici et nous allons profiter pleinement de notre séjour», affirment-ils à l’unanimité. Heureusement que les enfants trouvent leur compte…
«Circulez, il n’y a rien à voir»
Les villages et complexes touristiques d’Alger et de Tipaza sont quasiment déserts durant ce mois de jeûne.
Aucun signe de vie à l’entrée de ces lieux, ordinairement bondés de monde durant la saison estivale. «Il n’y a rien à voir ici. Plus rien ! Vous n’allez trouver personne : tout le monde dort…», nous dit un agent de sécurité à peine réveillé, à l’entrée du complexe Azur Plage de Zéralda. À l’intérieur, aucun indice ne renseigne qu’on est en pleine saison estivale. Magasins fermés et parkings totalement vides..., une sorte de no man’s land ! Sur la plage, le décor n’est pas meilleur : tables et chaises attendent preneur désespérément. Quelques personnes, assises çà et là sur le sable fin de cette plage, nous diront : «On passe le temps, en attendant le ‘’f’tour’’.»
Les propriétaires des tables et chaises, eux, exaspérés de ne pas arriver cette année à rentabiliser leur investissement, iront jusqu’à refuser de répondre à nos questions. Au CET de Tipaza, la torpeur règne dans les moindres coins et recoins. D’habitude, ce complexe n’arrive pas à contenir les foules impressionnantes qui s’y déplacent quotidiennement à chaque mois d’août. Et là, nous tombons sur une pancarte affichée sur le portail précisant que seuls les résidents y ont accès. Le complexe la Corne d’Or est aussi plongé dans une léthargie des plus ennuyeuses. De loin, ce lieu touristique ressemble à un village déserté par ses habitants, tant on ne perçoit aucun signe de vie à l’intérieur. Un agent de sécurité adossé au mur et bâillant sans cesse s’approche de nous à pas de tortue. «Vous auriez dû venir avant le ramadan pour faire votre reportage. Maintenant, il n’y a rien à voir, et personne à l’intérieur. On dirait qu’on est en plein hiver au vu de l’ambiance morose qui y règne», nous a-t-il expliqué. Un peu plus loin, le village touristique de Matarès (Tipaza) est fermé. Le portail est carrément cadenassé pour empêcher tout accès à l’intérieur.
Le mois de ramadan a porté un coup dur à la saison estivale, privant des milliers de citoyens d’un séjour au bord de la mer. Les comptabilités des centres touristiques, des exploitants des plages et des commerçants occasionnels ont aussi subi un coup dur. C’est tout un rythme de vie qui est chamboulé et une période des plus importantes de l’été qui est amputée des grandes vacances. Même les émigrés, qui viennent en masse en été, ont vite plié bagage pour passer un ramadan à la maison tranquillement et en toute sérénité. Certaines personnes refusent d’aller à la plage durant la journée pour des raisons religieuses, alors que d’autres ne sont pas en mesure de nager le ventre creux. Dans les années à venir, la situation sera encore plus rude car le ramadan sera observé en plein été et les vacanciers seront donc obligés de faire des calculs pour espérer passer quelques jours au bord de la mer…
Travailleurs saisonniers
Les revenus des prestataires de services au niveau des plages ont connu une réduction inquiétante cet été. C’est leur plus mauvaise saison depuis plusieurs années.
Ils ont beaucoup compté sur la saison estivale pour gagner l’argent leur permettant de faire face aux dépenses de la prochaine rentrée sociale. Ils ont même investi une grande partie de ce qu’ils possédaient dans l’achat de tables, de chaises et de la location de buvettes, de restaurants ou de sanitaires. Le début de la saison a été d’abord gâché par les compétitions de la Coupe du monde de football à laquelle l’Equipe nationale a participé. Le fameux tournoi a duré un mois, du 11 juin au 11 juillet, et une grande partie des citoyens ont préféré visionner les matchs chez eux plutôt que de se rendre à la plage. «Durant la période du Mondial-2010, nos recettes étaient loin de nos espérances. Tout le monde était occupé par le football. Parfois, on arrivait à peine à louer une dizaine de tables par jour», témoigne, désemparé, Alilou, rencontré sur la plage de Aïn Benian. «Cette période du Mondial a vraiment joué un mauvais tour à l’ensemble des prestataires de services au niveau des plages. C’était la catastrophe», se désole-t-il. Cette amertume est partagée par l’ensemble des «exploitants» des plages. A peine, les foules ont-elles commencé à reprendre le chemin des plages que le mois sacré du ramadan est arrivé, plongeant les côtes dans une léthargie des plus désolantes. En somme, les travailleurs saisonniers au niveau des plages ne disposait que d’un mois de travail précisément : le ramadan ayant débuté le 11 août, un mois après la fin du Mondial sud-africain). Certains, gardant espoir, préfèrent laisser leur matériel sur place et assurer le service aux quelques familles qui viennent y passer leurs veillées ramadanesques. «Le nombre de visiteurs est très réduit mais c’est mieux que rien. Même si l’activité n’est pas du tout rentable en cette période, je préfère me contenter du peu plutôt que de rester chez moi», affirment-ils à l’unanimité. En revanche, d’autres exploitants ont choisi carrément de plier bagage dès la veille du ramadan pour changer d’activité. La plupart se sont convertis en vendeurs de fruits et légumes aux bords de l’autoroute et les autres ont investi dans la zlabia et le qelb ellouz, sucreries très demandées durant ce mois. D’ailleurs, à la plupart des plages d’Alger-ouest et Tipaza, on ne trouve ni chaise ni table et encore moins des sanitaires. Le mois de ramadan a ainsi porté un coup dur à ces travailleurs saisonniers qui doivent se trouver d’autres sources de revenus pour faire face aux dépenses faramineuses du mois de jeûne et aussi pour celles de la rentrée sociale et scolaire.
«Dieu a voulu que le ramadan survienne en pleine saison estivale. Nul ne peut contester Sa décision, Lui qui nous ouvrira d’autres sources de gain», conclut, en bon musulman fataliste, notre premier interlocuteur.
Affluence timide après le «f’tour»
Les plages ne sont pas très sollicitées après la rupture du jeûne. La fraîcheur du climat qu’a connue la fin de la première semaine de ramadan et les diverses activités culturelles organisées durant ce mois «dictent» aux familles d’autres directions. Un jeune prestataire de services à la plage de Zéralda nous confirme cette situation. «Les trois premiers jours du ramadan, il faisait très chaud. Les familles envahissaient les lieux juste après le «f’tour» et j’en étais très ravi. Mais ces derniers jours, même pas le tiers de ce que cette plage accueillait les premiers jours», dit-il, non sans exprimer sa déception quant à ses revenus quotidiens. Il faut dire aussi que la survenue du ramadan en période des grandes vacances y est pour quelque chose dans cette situation. En effet, plusieurs familles préfèrent échanger des visites nocturnes pour veiller ensemble plutôt que d’aller à la plage. Et la majeure partie de nos immigrés ont déjà quitté le pays afin de passer ce mois chez eux. Les plages risquent d’être encore plus désertes les prochains jours au vu de la situation météorologique qui tend vers une chute du mercure.
La pêche comme passe-temps
Les inconditionnels de la grande Bleue tiennent à s’y rendre quotidiennement, quitte à ne pas nager. Ils prennent leurs cannes à pêche et se dirigent vers la plage, là où ils passent toute la journée. Aux les différentes plages d’Alger et de Tipaza, on voit de petits groupes de pêcheurs en train de «tenter leur chance», tout en discutant de tout et de rien, histoire de tuer le temps durant ces longues journées du ramadan. Et ce ne sont pas les prises qui importent le plus pour eux, mais ce climat ambiant qu’ils se créent. On remarque même de petits enfants s’initier à la pêche. Pour ces écoliers, l’exercice possède deux intérêts : apprendre un métier et rester loin du brouhaha de la ville. «On vient ici à partir de 11h et l’on y reste jusqu’à 19h. On passe un temps merveilleux et parfois on rapporte même quelques poissons. Notre principal objectif est de passer notre journée loin du bruit et des problèmes de la cité», indique Achour, la quarantaine, croisé sur une plage à Staouéli. «Ici, nous sommes certains que notre jeûne est valable. Nous sommes loin des autres, nous nous occupons de la pêche et nous aurons la récompense entière», intervient son ami, visiblement très pieux. Du côté des jeunes, l’heure est à la course pour la plus importante «récolte» de la journée. Celui qui arrive à pêcher le plus grand nombre de poissons est sacré champion de la journée. Pour récompense, ses amis régleront la note de tout ce qu’il consommera en soirée. Et à chacun son tour ou plutôt… sa chance !
Source Infosoir Ahmed Haniche
Le Pèlerin