Le poids du tabou et de l’ignorance
Aberration - «Comment peut-on laisser croire qu’une tisane peut remplacer un traitement médical pour contrer le diabète ?»
Même si cette phrase lancée par le président de la fédération nationale des associations de diabétiques, M. Bouseta, à l’occasion de la journée nationale des diabétiques, jeudi, peut avoir une connotation humoristique, il n’en demeure pas moins que la gravité avec laquelle elle fut lancée a jeté l’émoi sur l’assistance.
«Des gens vivant dans des endroits du monde où l’on compte les plus grosses proportions de diabétiques viennent, ici, chez nous, prétendre pouvoir le guérir à coup de tisane et je ne sais quelles autres mixtures miracle.
Mais qu’ils fassent leurs preuves chez eux d’abord ! Si cela marchait réellement cela se saurait. L’Algérie n’est pas un laboratoire». «Cela se passe chez nous, sous nos yeux et ceux des structures du ministère du Commerce et des services des Douanes qui laissent entrer sur notre territoire ces produits.
Ils se payent même le luxe de promouvoir leurs produits via leurs propres chaînes de télévisions satellitaires». «Ce n’est plus tolérable», lancera-t-il. Ils étaient nombreux dans l’assistance à applaudir le préambule par lequel le président a tenu à ouvrir la séance. Un intervenant, revenant sur le sujet, ira plus loin en disant qu’une foire promotionnelle de ces produits s’est déroulée il n’y a pas si longtemps à El-oued.
Nous apprendrons à l’issue de la rencontre que la problématique de la gestion du diabète chez nous reste toujours une préoccupation de tous les instants.
Dès lors, plusieurs thèmes ont pu être abordés lors de cette rencontre organisée par la fédération en partenariat avec les laboratoires Novo Nordisk Algérie, portant, notamment, sur l’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes de diabète et le rôle des associations de patients dans ce domaine. Il a en outre été mis l’accent sur le rôle central de la femme, la dimension psychologique et l’importance de l’éducation thérapeutique.
«Nous tirons tout de même un bilan positif quant à la prise en charge qui, elle, a noté une progression très sensible, même si beaucoup reste encore à faire, notamment pour les citoyens les plus démunis» nous dira la secrétaire générale de la fédération, Mme Souhila Ferhat.
Elle nous indiquera que globalement et contrairement à ce qui peut se raconter, ici et là, les médicaments sont disponibles même si les perturbations épisodiques enregistrées dans la disponibilité de la «metformine» restent toujours posées. Pour rappel, l’Algérie compte plus de 3 millions de diabétiques dont plus de 28% sont des enfants.
Une mère témoigne
Choc - Ce soir-là, ma petite fille de 6 ans, Amel, partait en urgence pour être hospitalisée pour un malaise qu’elle venait d’avoir sans que nous comprenions de quoi il en retournait.
Le temps d’un petit test, le médecin nous dit clairement que notre enfant, qui n’est pas spécialement portée sur les bonbons, qui dépasse la courbe de croissance du livret de santé et qui ne tombe jamais malade, était devenue subitement diabétique ! Le diabète 1 est une maladie génétique, m’a dit le médecin.
Il paraîtrait que statistiquement 35% de la population algérienne est porteuse du gène. En l’occurrence, je serais donc la cause, moi, sa maman ? Et pourtant, nous n’avons aucun cas dans la famille, rien chez ses oncles, ni chez ses tantes. Le médecin nous a aussi expliqué que l’odeur fruitée qui se dégageait de son haleine (la même que celle du diluant peinture ou vernis à ongles) aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. J’ai dû faire un travail sur moi-même au début pour me déculpabiliser. Comprenez que se sentir la source du mal de sa fille est très dur à supporter pour une mère. J’ai pu surmonter cela grâce à ma famille et mes autres enfants. Mais j’ai aussi fait en sorte de lui expliquer, à elle, très tôt, son mal qu’elle avait du mal à comprendre. Nous nous sommes aussi engagés, son père et ses autres frères et sœurs et moi à en parler très tôt à son entourage, à l’école, la famille, les voisins, en leur expliquant que ce n’était ni contagieux, ni une malédiction et qu’elle n’avait ni besoin de compassion ni de pitié. Juste d’être considérée comme une petite fille ordinaire comme toutes les petites filles. Cette pédagogie lui permet aujourd’hui de vivre avec son diabète le plus normalement du monde. Amel a aujourd’hui 23 ans et a eu son capa de droit avec mention en 2011.
Kahina, une victime de l’ignorance parmi tant d’autres
«En cette belle journée d’été 2002, Kahina se prépare à accueillir ses nombreux invités à l’occasion de son mariage. C’est la honte d’avouer son diabète qui la poussera à imiter tout ce beau monde autour d’elle en prenant et reprenant des parts de gâteaux qui pourtant lui étaient déconseillés. Elle meurt une semaine plus tard des suites d’un accident vasculaire cérébral». C’est l’histoire vraie et bouleversante que nous raconte Ferhat Souhila, secrétaire général de la (FAAD). Force est de constater que chez nous, malgré tous les efforts qui sont déployés pour informer et sensibiliser la population sur ce qu’est le diabète, il n’en demeure pas moins que cette maladie reste encore considérée comme «une maladie honteuse». Les personnes atteintes sont au mieux prises en pitié et au pire rejetées par la société. Ce qui pousse certains malades à cacher leur maladie en société.
Une prise de conscience collective impliquant tous les acteurs de la société civile se doit d’être une priorité afin de sensibiliser la partie de notre population, notamment rurale, sur cette maladie qui n’est ni contagieuse ni transmissible. Ainsi nous avons appris de la bouche même du président de la l’Association nationale de protection de l’enfance, Khaled Ahmed, que «des élèves étaient obligés de se cacher pour prendre leurs médicaments» pour qu’ils ne soient pas rejetés par leurs camarades. Un constat bien amer, qui pourtant existe et qui se doit d’être combattu à chaque instant.
L’école doit mieux faire
Éducation - Sur le chiffre de 3 millions de diabétiques annoncé par la FAAD, il est important de noter que 25% sont des enfants en âge d’être scolarisés.
Ainsi et en raison de certaines périodes de malaise et de fatigue que peut vivre l’enfant diabétique, beaucoup ont du mal à suivre leur scolarité. Curieusement, chez nous, peu d’actes volontaires se manifestent pour faire face à cette situation.
Les établissements scolaires, en outre, ne prévoient pas ou rarement de dispositions quant à l’octroi de cours supplémentaires ou de classes spéciales qui concerneraient des enfants atteints de cette maladie et ayant des difficultés à suivre le programme scolaire dans les temps, bien que le diabète ne soit en rien un facteur handicapant pour l’enfant. Cette situation provoque néanmoins souvent des retards dans l’apprentissage pour ces enfants qui n’ont pas choisi d’être diabétiques.
A ce sujet, «il serait urgent que les pouvoirs publics, notamment le ministère de l’Éducation nationale, pensent à prendre en compte cette catégorie de nos enfants qui, bien que disposant de toutes leurs facultés, notamment mentales, restent sur les abords du quai de l’école, ne pouvant suivre les cours au rythme des autres enfants» nous dira Mme Souhila Ferhat. De son côté, l’Association nationale de protection de l’enfance estime quant à elle que plus de 856.000 écoliers algériens sont atteints de diabète. Ce chiffre, assez proche de celui avancé par la FAAD, est la conclusion d’une enquête menée dernièrement, dans la totalité des wilayas du pays sur la santé en milieu scolaire. Ce constat des plus préoccupants devrait donner lieu à «une mobilisation et un débat sur les moyens de dépistage du diabète chez l’enfant scolarisé» avait annoncé le président de la fédération nationale des parents d'élèves, Ahmed Khaled qui s’était exprimé à l’issue de la parution des résultats de cette étude. Il avait en outre indiqué qu’«il y avait urgence à ce que les ministères de l’Éducation nationale et de la Santé publique réfléchissent conjointement à instaurer des dispositions de sorte à multiplier les contrôles médicaux et de santé, dans les écoles et établissements éducatifs» du pays.
Pour ce qui le concerne, «La mauvaise nutrition et la responsabilité des parents ne peuvent, à elles seules, expliquer ces chiffres des plus critiques. Le manque de structures et l’inefficacité des dispositions de dépistage et de prévention sont autant de facteurs qui se doivent d’être mis en cause dans ce constat alarmant», avait-il ajouté. Il avait affirmé, en outre, que l’association qu’il préside avait relevé des témoignages «sur des cas d’enfants pris d’évanouissement en classe ou à la récréation» parce qu’ils ne se savaient pas malades.
Une des revendications qui avaient alors été avancées était que les enseignants exigent de consulter, à chaque début d’année scolaire, le livret de santé de leurs élèves. Une chose toute simple, mais qui, néanmoins, ne peut se réaliser que sur ordonnance du ministère de tutelle.
L’association Najda lance un SOS
«Plus de 300 à 400 citoyens atteints de diabète n’ont pas accès à la carte chiffa dans la commune de Saoula» nous dit Mme Mechkal Nadjia, présidente de l’association des diabétiques et hypertendus de Saoula. Elle nous explique que cela concernait notamment les plus démunis et n’ayant pas de couverture sociale. Un accord liant la caisse de sécurité sociale et le ministère de la Solidarité et qui prévoit clairement de prendre en charge cette catégorie, a pourtant était signé, souligne-t-elle. «Malheureusement, les énormes difficultés bureaucratiques qu’ils rencontrent, certains même depuis 2 ans, et que nous n’arrivons pas à comprendre nous-mêmes, sont là et retardent leur traitement. Sachez que la plupart d’entre eux sont sans ressources.
Doivent-ils se nourrir ou acheter des médicaments qui sont pour la plupart hors de prix ? Les médicaments qui nous sont gracieusement offerts par certaines officines d’Etat et même privées sont loin d’être suffisants pour faire face à la situation», nous dira-t-elle.
Le diabète gestationnel
Il ressort de diverses études que les femmes constituent un acteur majeur dans la cadre de la prévention du diabète. Elles ont la possibilité de promouvoir la prévention au sein de leur foyer et même au-delà. En effet, dans la plupart des cultures, les femmes ont un rôle pivot au sein de la communauté comme vecteurs d’information et d’éducation, notamment vis-à-vis des générations futures. Il en ressort qu’axer la prévention du diabète sur la femme a également comme avantage de permettre de s’attaquer à un problème de santé grandissant, notamment chez nous, à savoir le diabète gestationnel, qui reste l’un des problèmes de santé les plus courants pour les femmes enceintes. Il touche 2 à 6% de toutes les grossesses en Algérie. S’il n’est pas traité, ce type de diabète peut provoquer des problèmes de santé pour la mère et le fœtus. Par ailleurs, les femmes ayant développé un diabète gestationnel ont jusqu’à 70% de risque de développer un diabète de type 2 dans les 10 ans qui suivent leur grossesse et un risque de développer une maladie cardiovasculaire. En outre, les enfants nés de mère ayant développé ce type de diabète ont un risque multiplié par cinq de développer un diabète ou un prédiabète avant de devenir adulte. Le risque d’obésité est, lui, multiplié par deux.
Source Infosoir Lyes Sadoun
Le Pèlerin