Algérie - Depuis quatre mois, la protestation n’a épargné aucun secteur comme des abcès trop mûrs
Le vent de la contestation souffle sans répit sur le pays depuis le début de l’année en cours emportant sur son chemin différents secteurs, même les plus paisibles jusqu’à l’heure.
La protestation enclenchée contre la hausse soudaine des prix de certaines matières de première nécessité en janvier ne s’est pas éteinte avec la baisse de ces derniers, mais est allée crescendo, dans un effet domino.
Après la contestation des jeunes le 5 janvier dernier, la révolte a, en effet, repris de plus belle pour démontrer que le mal du citoyen algérien ne se limite pas simplement à son appareil digestif. Son intérêt va vers les droits fondamentaux mondialement reconnus et constitutionnellement institués. Les manifestants vont de la revendication de l’amélioration de leur situation socioprofessionnelle, à l’incarnation des principes de liberté et de démocratie jusqu’à la démission du système en place.
Le corps médical, éducatif, administratif, sécuritaire, économique, certaines organisations non gouvernementales et partis politiques ont tous rejoint ce mouvement qui a suscité la mobilisation sans précédent, de forces sécuritaires. L’Etat n’a pas lésiné sur les moyens sécuritaires, humains et matériels, pour maîtriser la situation. La première marche du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a suscité, à elle seule, la mobilisation de milliers de policiers, selon le président de ce parti, Saïd Sadi. Ainsi, durant plusieurs semaines, le samedi était synonyme, pour le commun des Algériens tout comme pour les hautes autorités, de journée de protestation.
Mais en dépit de l’annonce officielle de la levée de l’état d’urgence, toutes les tentatives de marche, voire de certains rassemblements ont été fermement réprimées dans la capitale.
La montée insistante de la tension a fait l’objet de plusieurs spéculations et lectures sociales et politiques. On s’interrogeait dès lors si l’Algérie ne serait pas en train d’importer la révolution égyptienne et tunisienne, si le système algérien ne risquait pas de connaître le même sort que celui de ces deux régimes. «Non. Pas d’importation de la révolution. Le système algérien n’est pas égyptien ou tunisien», soutenaient les officiels ainsi que certains partis politiques à l’image du Parti des travailleurs (PT).
Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait estimé, pour sa part, lors d’une émission télévisée lancée dans le cadre de l’ouverture des médias aux débats libres et contradictoires, que la crise en Algérie n’est pas politique mais sociale. Une déclaration sans doute à vocation protectrice du système en place.
Le mouvement de protestation qui a été enclenché principalement par des jeunes n’a pas manqué de s’étendre à d’autres secteurs jusqu’à n’en épargner quasiment aucun et aussi engendrer la création d’organisation ad hoc. Il s’agit entre autres de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (Cncd), le comité des chômeurs, celui des médecins résidents et autres.
L’encadrement de la société civile : la pièce manquante
Les événements encore en cours dans le pays font preuve, une nouvelle fois, du problème d’encadrement de la société civile. Les associations censées jouer un rôle d’envergure dans l’organisation des masses, notamment juvéniles, brillent par leur absence. Les quelque 81 000 associations réparties au niveau national et enregistrées au niveau du ministère de l’Intérieur sont fermement absentes sur le terrain de l’actualité. Et dire que l’organisation de la société civile est perçue comme un pilier de la Constitution d’une société saine et citoyenne. En effet, à l’exception de certains partis politiques et syndicats qui ont adhéré au mouvement et tenté de l’encadrer, les associations «apolitiques» sont nettement absentes. Intervenant à l’issue des événements du 5 janvier dernier, le commandant général des Scouts musulmans algériens (SMA), Nourredine Benbraham, a affirmé que l’organisation qu’il préside a apporté sa contribution afin que le calme règne dans les rangs des jeunes révoltés. L’absence des associations sur le terrain social a fait que toute une jeunesse est livrée à elle-même sans espaces d’expression et d’échange alors que le mouvement associatif joue un rôle important dans l’allégement des souffrances de cette catégorie, ainsi que son intégration dans la société.
La santé et l’éducation toujours malades
Les prochains jours ne s’annoncent pas paisibles pour le secteur de l’Education et de la Santé. Deux domaines qui connaissent depuis déjà une année des bouleversements paralysants qui ont duré plusieurs mois.
Aussi bien les enseignants que les médecins ont repris le travail après les promesses de leurs tutelles respectives. Les praticiens et praticiens spécialistes de la santé publique sont montés au créneau pour dénoncer le retard dans la satisfaction de leurs revendications. L’actuel ministre de la Santé, Djamel Ould Abbès, nommé à la tête du secteur en mai 2010 en succession à Saïd Barkat, a effectivement pu absorber la colère des médecins.
Pourtant, ces derniers ne veulent plus rien céder et réclament une prise en charge concrète de leurs revendications en particulier la promulgation d’un statut particulier. Ce dernier, à maintes reprises reporté, n’a toujours pas vu le jour. La même lenteur dans la satisfaction des revendications est aussi dénoncée par les enseignants et corps communs de l’éducation nationale. A la tête du secteur depuis plus de quinze années, Boubekeur Benbouzid, n’a toujours pas réglé la question du régime indemnitaire, de la gestion des œuvres sociales et des autres problèmes qui pénalisent le secteur. Sa façon de faire est fortement critiquée par les syndicalistes et pédagogues.
La carotte et le bâton
Afin de calmer les esprits et ramener les citoyens furieux à «la sagesse», le gouvernement algérien a recouru à deux méthodes prédominantes : mesures d’apaisement et répression.
En effet, une série de mesures à caractère social et économique se sont succédé depuis les prémices de la révolte. Réfutant l’idée que soit calqué chez nous le modèle révolutionnaire de nos voisins tunisien, égyptien ou encore libyen, l’Etat algérien a préféré prendre une série de mesures favorisant l’insertion des jeunes dans le monde du travail, et, par ricochet, la promotion de leur statut social. Aussi certaines catégories, sans doute plus fermes et tenaces, ont pu obtenir satisfaction de leurs revendications respectives.
Il y a lieu ici de revenir sur l’exemple des enseignants contractuels lesquels ont réussi à faire plier le ministre de l’Education nationale, Boubekeur Benbouzid, devant leur unique et non négociable revendication qu’est l’intégration à leur poste de travail sans concours ni condition.
Après une attente qui semblait interminable et surtout sans résultats, les enseignants contractuels ont décidé de camper devant les locaux de la présidence de jour comme de nuit jusqu’à satisfaction de leur demande. Même démarche entreprise par les gardes communaux. Ces derniers ont, pour leur part, refusé de bouger de la place des Martyrs. Ils ont ainsi forcé la main du ministre de l’Intérieur, lequel avait pourtant déclaré à maintes reprises désavouer leur mouvement. Les gardes communaux ont aussi suspendu leur protestation suite à la promesse de la tutelle de prendre en charge leurs doléances. Pour ce qui est des contractuels, la titularisation n’a concerné qu’environ 60% des quelque 20 000 que compte le secteur de l’Education. Ainsi sont-ils des centaines d’ingénieurs exclus de la décision de titularisation en dépit des années d’expérience qu’ils ont accumulées. Cela dit, pour les contractuels, la protestation est toujours d’actualité.
Il est à noter toutefois que les autorités concernées n’ont donné leurs accords aux revendications de ces corps respectifs, qu’après avoir été mises au pied du mur. Ni la répression, ni le recours à la violence, ni le dénigrement de ces mouvements n’ont affaibli les protestataires.
Cela pour dire qu’aussi bien Benbouzid que Ould Kablia ont cédé devant les revendications socioprofessionnelles des travailleurs de leurs secteurs après des épreuves de force de longue haleine. En effet, les manifestants dans les rues de la capitale depuis le début de l’année en cours ont toutes été réprimées par la violence. Depuis des mois, Alger vit sous une couleur bleu marine. Ce n’est pas le reflet de la mer, mais les véhicules de police installés à chaque coin.
Pourquoi barricader la place des Martyrs ?
Une clôture en ferraille est en cours d’installation autour de la place des Martyrs à Alger. Cette placette qui a constitué la place de plusieurs rassemblements, dont celui imposant des gardes communaux, sera désormais interdite d’accès, notamment aux manifestants. Sans doute cette clôture facilitera aux autorités la maîtrise des événements. Ainsi la place, dont le nom se réfère aux martyrs qui ont sacrifié leur vie pour la liberté du pays, n’accueillera plus les personnes réclamant la liberté d’expression et de manifestation pourtant instituée par la Constitution algérienne et les chartes internationales approuvées par l’Algérie.
Les corps de sécurité
Le syndrome de la contestation n’a pratiquement épargné aucun secteur. Cette protesta s’est, en effet, propagée aux corps les plus sensibles de l’Etat, voire ceux connus pour promouvoir sa politique. Les gardes communaux, les pompiers, les ex-contractuels de l’ANP, les Patriotes et les GLD sont montés au créneau pour réclamer l’amélioration de leurs conditions socioprofessionnelles, et surtout une reconnaissance de leurs sacrifices.
Les étudiants ont forcé le cordon sécuritaire
Alors que la plupart des mouvements de manifestation ne sont pas parvenus à forcer le cordon sécuritaire mobilisé par les pouvoirs publics, les étudiants ont, eux, réussi à marcher dans la capitale. Ils étaient des milliers, une masse forcément incontrôlable, à répondre à l’appel à manifester lancé par la Coordination nationale autonome des étudiants (Cnae). Malgré la force à laquelle a recouru le dispositif sécuritaire mobilisé à l’occasion, les étudiants ont réussi à aller de l’avant et réussi là où des organisations syndicales et politiques ont échoué avant eux. La sortie dans la rue des étudiants vient chapeauter une grève qui a duré environ trois mois. Cette grève dure encore dans certaines universités. Les étudiants qui ont décidé de reprendre les cours, affirment qu’ils le font le temps de passer les examens du premier semestre pour éviter une année blanche. Et le retour à la contestation dans le milieu estudiantin est toujours possible. Il est à noter que les étudiants réclament l’amélioration de l’université algérienne. L’organisation estudiantine ne compte pas s’arrêter là, puisque des rassemblements et marches sont prévus dans les jours à venir et ce, en parallèle avec un renforcement des rangs des manifestants via notamment les réseaux sociaux sur Internet.
Source Infosoir Mina Adel
Le Pèlerin